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CHAPITRE XLI


LA THÉORIE DE LA RELATIVITÉ
GÉNÉRALISÉE


186. — La notion fondamentale d’univers introduite par Minkowski, et dont nous aurons l’occasion de souligner à nouveau l’importance capitale pour la philosophie, dégage ce qui appartient en propre à la théorie de la relativité. Avec cette théorie, ce sont les bases mêmes de la science moderne qui se trouvent remises en question, et cela au nom de la physique et par la voie de la physique, alors que précisément le tableau encyclopédique des disciplines scientifiques, fondé sur la loi de la division du travail, semblait avoir placé ces bases dans l’asile sûr de la mathématique, à l’abri du contrôle du physicien. La marque du génie de M. Einstein, c’est donc d’avoir renouvelé la perspective entière du savoir humain, en faisant remonter la réflexion dans ces régimes limitrophes entre la science et la philosophie où, depuis Descartes et Newton, avaient pris naissance les méthodes capables de créer des instruments inattendus pour la conquête de l’univers.

M. Lorentz, qui avec un admirable désintéressement a le premier rendu justice à son émule, indiquait, dans ses Leçons de Haarlem sur la Théorie de la Relativité, que la détermination de la valeur des notions fondamentales appartient pour une grande part à la théorie de la connaissance. Et il revendique le droit de rester fidèle à sa conception habituelle, en raison de la satisfaction intellectuelle qu’il trouve à maintenir encore une certaine substantialité de l’éther, une séparation nette entre l’espace et le temps, enfin la possibilité de parler d’une simultanéité sans restriction spéciale[1]. La question est alors une question de fait. En restant trop fidèle au passé de l’humanité, ne risque-t-on pas de se priver des moyens nécessaires pour aborder avec succès des domaines qui avaient été jusque-là réputés inaccessibles, parce que l’homme, canali-

  1. Trois leçons faites à la fondation Teyler de Haarlem, Leipzig et Berlin, 1914, p. 23, citées apud Cassirer, Zur Einsteinschen Relativitäts-theorie, Berlin, 1921, p. 36, n. 2.