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séquences de l’accord entre les théories électromagnétiques de M. Max Abraham et les déterminations expérimentales de MM. Kaufmann et Simon[1], Poincaré pouvait conclure à la « fin de la matière » :

« Un électron isolé se déplaçant à travers l’éther engendre un courant électrique, c’est-à-dire un champ électromagnétique. Ce champ correspond à une certaine quantité d’énergie localisée, non dans l’électron, mais dans l’éther. Une variation, en grandeur ou en direction, de la vitesse de l’électron modifie le champ et se traduit par une variation de l’énergie électromagnétique de l’éther. Alors que, dans la mécanique newtonienne, la dépense d’énergie n’est due qu’à l’inertie du corps en mouvement, ici une partie de cette dépense est due à ce qu’on peut appeler l’inertie de l’éther relativement aux formes électromagnétiques. Cette inertie de l’éther est un phénomène bien connu ; c’est ce que les électriciens appellent la self-induction. Un courant dans un fil a de la peine à s’établir, de même qu’un mobile en repos a de la peine à se mettre en mouvement, c’est une véritable inertie. En revanche, un courant, une fois établi, tend à se maintenir, de même qu’un mobile une fois lancé ne s’arrête pas tout seul ; et c’est pourquoi vous voyez jaillir des étincelles quand le trolley quitte un instant le fil qui amène le courant. L’inertie de l’éther augmente avec la vitesse et sa limite devient infinie lorsque la vitesse tend vers la vitesse de la lumière. La masse apparente de l’électron augmente donc avec la vitesse ; les expériences de Kaufmann montrent que la masse réelle constante de l’électron est négligeable par rapport à la masse apparente ; elle peut être considérée comme nulle, de sorte que si c’est la masse qui constitue la matière, on pourrait presque dire qu’il n’y a plus de matière. Dans cette nouvelle conception, la masse constante de la matière a disparu. L’éther seul, et non plus la matière, est inerte. Seul, l’éther oppose une résistance au mouvement, si bien que l’on pourrait dire : il n’y a pas de matière, il n’y a que des trous dans l’éther[2]. »

182. — Il est vrai que si l’on voulait coûte que coûte maintenir le parti pris du réalisme, l’imagination pourrait encore s’accrocher aux points singuliers de l’éther. Telle serait du moins, selon M. Meyerson, l’attitude psychologique des savants : « Si nous saisissons le monde de la théorie scientifi-

  1. Cf. Houllevigue, Les Idées des physiciens sur la matière, Année Psychologique, XIV, 1908, p. 108.
  2. La Mécanique nouvelle, Revue scientifique, 7 août 1909, p. 171, col. B.