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CHAPITRE XXXIX


L’INTERPRÉTATION CRITIQUE
DE L’ATOMISTIQUE


179. — De cette thèse, que résulte-t-il pour la philosophie des sciences ou, si l’on préfère, pour le rapport entre la science et la philosophie ? Henri Poincaré disait dans la Conférence qui terminait la Série sur la Constitution de la matière : « Quand Démocrite a inventé les atomes, il les considérait comme des éléments absolument indivisibles et au delà desquelsil n’y a plus rien à chercher. C’est cela que cela veut dire en grec ; et c’est d’ailleurs pour cela qu’il les avait inventés ; derrière l’atome, il ne voulait plus de mystère. L’atome du chimiste ne lui aurait donc pas donné satisfaction, car cet atome n’est nullement indivisible, il n’est pas un véritable élément, il n’est pas exempt de mystère ; cet atome est un monde. Démoerite aurait estimé qu’après nous être donné tant de mal pour le trouver, nous ne sommes pas plus avancés qu’au début ; ces philosophes ne sont jamais contents[1]. Nous ne prenons pas le trait final à la lettre. Nous n’y cherchons pas une intention d’opposer savants et philosophes : les uns s’attribuant le privilège d’aller de l’avant sans se croire engagés par la parole de leurs prédécesseurs ; les autres condamnés à figurer comme témoins des âges disparus, destinés à mesurer par l’immutabilité de leurs aspirations et de leurs réflexions le progrès effectif de la pensée scientifique. Entre l’esprit scientifique et l’esprit philosophique le conflit est superficiel, ou plutôt il n’existe qu’entre les aspects les plus superficiels de l’un et de l’autre, et c’est de quoi il n’y a pas de preuve plus éclatante que l’œuvre de Poincaré. En revanche, le passage que nous venons de citer donne une expression saisissante à l’antagonisme de la pensée antique et de la pensée moderne, par quoi s’expliqueraient, suivant nous, et la grandeur et la décadence de l’atomisme métaphysique.

Poincaré imagine que le philosophe dit au savant : Du

  1. Les Rapports de la matière et de l’éther, apud Les idées modernes. etc., p. 350.