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LIVRE II

L’Expérience interne.




CHAPITRE III

LA DOCTRINE BIRANIENNE

9. — « Rendons grâces à Hume, écrit Maine de Biran. Nul philosophe n’a établi avec une aussi grande force de conviction qu’il fallait renoncer à trouver hors de nous un fondement réel et solide à l’idée de pouvoir et de force ; d’où il suit qu’il n’y a plus qu’à chercher ce fondement en nous-mêmes, ou dans le sentiment de notre propre effort, dans le fait même du sens intime dont tous les nuages accumulés par le scepticisme ne sauraient altérer l’évidence[1]. » C’est de l’évidence que Biran se réclame. Nous allons pour la seconde fois assister au spectacle dont déjà la critique malebranchiste nous avait rendus témoins, à un déplacement de l’évidence. Rejetée du sensible vers l’intelligible, elle se retournerait à nouveau, sinon vers la donnée des sens, du moins vers une certitude d’expérience. Un semblable « renversement du pour au contre », suivant l’expression pascalienne, risquait de tourner à l’avantage de ce scepticisme même dont Biran voulait éliminer le poison. Biran s’en est bien rendu compte ; et il écrit à ce sujet : « On ne s’entend guère en général sur ce qui constitue l’espèce de clarté propre aux différentes sortes

  1. Essai sur les Fondements de la Psychologie et sur ses rapports avec l’étude de la nature, 1812. Édition Ernest Naville (que nous désignerons par N.), t. I, 1859, p. 267.