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CHAPITRE XXXVIII


LES DIFFÉRENTES DIRECTIONS
DE L’ATOMISME


176. — À l’intérieur, en effet, de ce vaste courant, que, suivant l’exemple de Lasswitz, nous désignerons du nom commun d’atomistique, se presse, se heurte, se combat un tourbillon d’idées divergentes ou même contradictoires, C’est au point que Lasswitz lui-même se demande comment délimiter les frontières du système atomiste : « Seule, l’individualisation matérielle de l’espace par Démocrite aura-t-elle droit à cette désignation ?[1] »

L’atome démocritéen, en effet, c’est l’être par opposition au vide ; c’est le stable par rapport au changeant ; c’est le double absolu du réel et de l’intelligible. Il suffit donc de poser l’atome dans l’espace, avec les propriétés de grandeur, de figure, d’orientation, qui sont inhérentes à l’attribut constitutif de position spatiale, pour qu’il n’y ait plus à soulever d’autres questions concernant la causalité : l’atome possède en soi un pouvoir d’explication qui supprime de l’univers tout mystère et toute irrationalité, Il y a ainsi un atomisme pur et originel qui se définit par la marche synthétique et progressive : l’atome est le principe, les corps sont des composés d’atomes.

Or, cette définition étant donnée, l’histoire de la pensée humaine, qui fournit au philosophe son champ d’expérience, le contraint à constater qu’il n’a pas été nécessaire d’attendre l’avènement de la science, avec les exigences de rigueur qui lui correspondent, pour apercevoir, du point de vue atomistique lui-même, les insuffisances manifestes, criantes, de l’explication atomiste. Ceux-là même qui admettaient l’existence des éléments indivisibles, et s’en servaient pour constituer la nature des choses, ont été amenés à concevoir, à pratiquer un procédé inverse de la méthode qui a présidé à la naissance du système démocritéen. On a revêtu la réalité primordiale de propriétés qui n’ont rien à voir avec la nature de l’atome en tant qu’atome, qui peut-être même lui répugnent profondé-

  1. Geschichte der Atomistik, t. I, p. 2.