Page:Brunschvicg - L'expérience humaine et la causalité physique, 1922.djvu/394

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sous forme de lois des relations où les composants d’un corps sont pris en proportions fixes ; et ces lois évoquent la notion d’élément. Mais elle n’impliquent ni que l’élément soit isolé, ni même que la grandeur en soit approximativement déterminée. Le chimiste pense aux atomes ; il ne les connaît pas. Aussi, lorsque, en 1811, Avogadro est conduit à supposer « que le nombre des molécules intégrantes dans les gaz quelconques est toujours le même, à volume égal, ou est toujours proportionnel aux volumes[1] », la conception de ce nombre N, appelé à devenir si fameux, n’aboutit guère qu’à poser un problème, et d’une difficulté si grande que la formule d’Avogadro, pendant près d’un siècle, figurera le type de l’hypothèse destinée à demeurer perpétuellement hypothèse. Les ressources techniques dont disposait alors la science semblaient lui interdire toute conquête effective dans le domaine entrevu par la spéculation scientifique, Cournot, si prudent et si avisé pourtant lorsqu’il s’agit de réserver les droits de la contingence historique et les surprises de l’avenir, écrivait dans un ouvrage qu’il faisait paraître, il n’y a pas plus de cinquante ans : « Jamais le microscope ne pénétrera dans la sphère infinitésimale où s’opèrent les phénomènes que nous nommons chimiques ou moléculaires[2]. » Toute catégorique qu’était l’affirmation, elle devait être démentie par l’événement.

D’ailleurs, à l’époque où sont publiées les Considérations de Cournot, un progrès notable était en train d’être acquis par les travaux sur la thermodynamique, qui, avec les recherches de Maxwell, inaugurent l’ère positive de la mécanique statistique. Il est vrai seulement qu’elles demeurent dans l’ordre théorique ; et Maxwell en a lui-même mis le caractère en évidence dans le dernier chapitre de ses Leçons élémentaires sur la Chaleur, où il insiste sur les postulats de la doctrine. D’une part, « dans un choc entre deux molécules… le mouvement du centre de gravité après le choc, demeure le même qu’avant le choc », et « la vitesse de chaque molécule par rapport au centre de gravité n’est pas changée en grandeur, mais seulement en direction ». D’autre part, considérant un grand nombre de molécules en mouvement, on les suppose « contenues dans un récipient dont les parois sont de telle nature qu’elles restituent aux molécules qui les choquent, l’énergie

  1. Le mémoire d’Avogadro : Essai d’une manière de déterminer les masses relatives des molécules élémentaires des corps, et les proportions selon lesquelles elles entrent dans les combinaisons, a été réimprimé dans le quatrième volume de la collection : Classiques de la Science, Molécules, atomes et notations chimiques, 1913, p. 17.
  2. Considérations sur la marche des idées, 1872, t. I, p. 294.