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enregistre l’échec de l’esprit humain sous cette forme particulièrement solennelle : « En aucun cas, il n’est possible de montrer le principe où résident la force et l’action d’une cause : les entendements les plus raffinés et les plus vulgaires sont également en peine sur ce point. Si quelqu’un croit bon de réfuter cette assertion, il n’a pas à se donner la peine d’inventer de longs raisonnements : il n’a qu’à nous montrer sur-le-champ l’exemple d’une cause, où se découvre à nous le pouvoir ou principe opérant. Nous sommes fréquemment obligés de recourir à ce défi, vu que c’est là presque le seul moyen de prouver une négative en philosophie. » (Ibid., p. 200.)

Suivant l’heureuse expression de M. Harald Höffding, Hume s’entend merveilleusement à poser un problème. Quant à ses solutions propres, elles sont sans doute moins simples, moins faciles à démêler, qu’on le dit d’ordinaire. Hume a respiré, dans le xviiie siècle, l’atmosphère de l’optimisme. L’argumentation sceptique des considérants ne lui interdit pas des conclusions par lesquelles, invoquant la bonté de la nature en faveur de nos croyances spontanées, il rejoindra, ou il précédera, le gros de l’armée écossaise. En un sens, il part de la science newtonienne ; mais ce qu’il en retient, ce n’est nullement la rigueur de la déduction mathématique ou de la vérification expérimentale, c’est le caractère métaphorique et quasi mystique de l’attraction. Aussi n’éprouve-t-il aucun scrupule à mettre sur le même plan la mécanique de l’attraction et la psychologie de l’association[1], tout extraordinaire et parfaitement incompréhensible que lui apparaît l’influence de l’association[2]. Le développement de l’association crée dans l’homme un instinct bienfaisant dont la justification certes dépasse les ressources de la logique abstraite, mais qui exprime, ainsi que le dit Hume dans un passage de l’lnquiry concerning human understanding (1748) où il semble bien avoir pris conscience du ressort profond de sa pensée, « une sorte d’harmonie préétablie entre le cours de la nature et la succession de nos idées[3] ». Par là se franchit la distance qui paraissait d’une façon définitive séparer l’association subjective et la loi des choses. Par là s’explique (ou tout au moins s’entrevoit comment on peut comprendre) qu’à la contingence radicale dans les prin-

  1. Cf. Traité, I, i, 4 : « Voilà une sorte d’attraction qui… produit dans le monde mental d’aussi extraordinaires effets que dans le naturel. » Trad. David, II, 23.
  2. Ibid. I, iii, 14. (II, 215).
  3. Essai, V, 1. Trad. David, I, 61.