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que nous appellerons en effet la hauteur de sa chute, c’est-à-dire la différence de température des corps entre lesquels se fait l’échange du calorique[1] ».

Cette conception de Carnot inspire directement le principe que Clausius introduisit dans la science vers 1850 : « Une transmission de chaleur d’un corps plus froid à un corps plus chaud ne peut avoir lieu sans compensation[2]. »

La thermodynamique est alors constituée, selon un processus de pensée que Mach éclaire de la façon suivante : « Sadi Carnot a reconnu que, pour que l’extension d’un corps froid puisse produire du travail, il faut qu’une certaine quantité de chaleur passe d’une température plus élevée à une température plus basse. Avec Black, il admet sans discussion l’invariabilité de la quantité de chaleur. Mayer et Joule trouvent que la production de travail est accompagnée d’une forte dépense de chaleur, et admettent que, quand on dépense du travail, on peut produire de la chaleur (par frottement). Clausius et Thomson lèvent ce paradoxe apparent en reconnaissant que la quantité de chaleur, qui disparaît lors de la production d’un certain travail, dépend de la quantité de chaleur transportée du corps chaud au corps froid, et des températures extrêmes. La conception de Carnot et la conception de Mayer sont ici modifiées et réunies dans la forme nouvelle[3]. »

Pour la philosophie naturelle, l’intérêt du principe de Carnot-Clausius, c’est qu’il repose sur la considération d’une diversité essentielle, d’une inégalité thermique, qu’il contraste ainsi avec l’égalité fondamentale, avec l’immutabilité, que le principe de conservation attribuait à l’énergie. Loin donc de contredire à l’apparence, et de dépasser le cours du temps, le principe de Carnot s’introduit au cœur du changement lui-même pour en justifier la réalité, pour en déterminer la loi. Non seulement il est interdit à l’homme d’aller contre l’impossibilité du mouvement perpétuel, d’arriver au plus en partant du moins, mais encore, du fait que la chaleur n’agit que par la différence de température et que cette action même tend à l’équilibre thermique, l’énergie utilisable diminue sans cesse ; la quantité de l’énergie subsiste ; sa qualité se dégrade, et par là, on passe du plus au moins. La science, qui semblait inviter le philosophe à la seule contemplation de l’impérissable et de l’éternel, soulève de nouveau la curiosité de l’origine et de la

  1. Réflexions sur la puissance motrice du feu (édit. originale, p. 12).
  2. Clausius, Théorie mécanique de la Chaleur, trad. F. Folie et É. Ronkar, Mons-Paris, 1888, p. 103.
  3. La Connaissance et l’Erreur, trad. Dufour, 1908, p. 187.