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CHAPITRE XXXVI


ÉNERGIE ET ENTROPIE


163. — Dès 1847, le Mémoire de Helmholtz sur la Conservation de la Force venait doter la physique de cette unité que Fresnel, en 1814, avait pressentie d’une façon si nette, dont, en 1835, Auguste Comte avait formellement condamné l’espérance.

À côté de la force qui produit réellement un mouvement, ou force libre, Helmholtz introduit la considération de celle qui tend seulement à produire un mouvement, ou force de tension. Posant à titre de principe (d’ailleurs à ses yeux vérifié inductivement par l’expérience) l’axiome leibnizien de l’impossibilité du mouvement perpétuel, et s’appuyant sur la mécanique newtonienne des forces centrales[1], il arrive à démontrer, sous une forme universelle, comme un théorème valable pour tous les domaines de la nature, que la somme des forces libres et des forces de tension demeure constante. Pour mieux marquer l’usage nouveau de l’idée de force, Thomson (lord Kelvin) a emprunté à Young (qui l’avait proposé en 1807)[2] le mot d’énergie, et sa terminologie a prévalu. La force libre recevra de Rankine le nom d’énergie actuelle (ou cinétique), la force de tension celui d’énergie potentielle. La constance de la somme des deux espèces d’énergie à travers toutes les transformations d’un système s’exprimera dès lors comme principe de la conservation de l’énergie.

Ce principe met la science positive en possession d’une formule grâce à laquelle les différentes sortes d’actions dont elle s’occupe entrent en étroite corrélation les unes avec les autres. Que ces actions soient révélées par des sens différents ou qu’elles échappent sous leur forme spécifique à la prise directe des sens, les unités qui servent à les mesurer n’en sont pas moins susceptibles d’entrer dans un calcul unique, de composer une somme qui demeure la même à travers les modifications des apparences phénoménales.

  1. Cf. trad. L. Pérard, 1869, p. 68 et suiv.
  2. A course of Lectures on natural philosophy and mechanical arts, t, I, 1907. p, 78, cité par Larmor. La nature de la Chaleur déduite directement du principe de Carnot, Revue générale des Sciences, 30 mai 1918, p. 306, col. A. 1908, p. 378.