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concluait Rumford, une quantité très considérable de chaleur pouvait être engendrée par le frottement de deux surfaces métalliques, et engendrée de manière à fournir un courant ou flux dans toutes les directions sans interruption ou intermittence, et sans aucun signe de diminution ou d’épuisement… Il est à peine nécessaire d’ajouter qu’une chose, qu’un corps isolé ou un système de corps peut continuer de fournir indéfiniment, sans limites, ne peut absolument pas être une substance matérielle ; et il me paraît extrêmement difficile, sinon tout à fait impossible, de se former une idée d’une chose capable d’être excitée ou communiquée dans ces expériences, à moins que cette chose ne soit du mouvement[1]. » Mais, comme le remarque Jean-Baptiste Dumas dans la notice consacrée à Rumford en 1881[2], « cette démonstration à laquelle il n’y a rien à reprocher, et que l’on considère aujourd’hui comme absolument irréfutable, ne fut pas acceptée par les contemporains », malgré l’appui que leur apportait Davy, qui n’avait guère alors plus de vingt ans, dans son Essai sur la chaleur, la Lumière et les Combinaisons de la Lumière[3].

Quelles furent les conséquences déplorablesde cet échec ? On le voit par l’exemple de Sadi Carnot. Dans ses Réflexions de 1824 sur la puissance motrice du feu, et sur les machines propres à développer cette puissance, il paraît attaché à l’hypothèse de l’indestructibilité du calorique. Et cependant, en des notes de peu d’années postérieures, puisqu’il est mort en 1832, enlevé par le choléra, mais qui ne furent publiées qu’en 1878[4], Carnot non seulement avait posé en principe que partout où il y a destruction de la puissance motrice, cette destruction est compensée par une production de chaleur, mais il était arrivé, pour le calcul de l’équivalent, au chiffre de 370 kilogrammètres.

D’une part, donc, la découverte véritable demeure bien, dans l’histoire effective de la pensée humaine, l’œuvre de Robert Mayer, de Colding et de Joule ; d’autre part, les recherches de leurs prédécesseurs font comprendre comment

  1. Apud Tyndall, la Chaleur, mode du mouvement. Trad. Moigno, 1874, p. 55.
  2. Discours et Éloges académiques, tome II, 1885, p. 245. Jean-Baptiste Dumas note l’origine cartésienne des conceptions de Rumford : « À l’âge de dix-sept ans, le traité de Boerhaave sur le feu avait déjà vivement excité son attention… Dès sa jeunesse également, il avait acquis la conviction que la chaleur ne se propageait pas par émission, mais par vibration, à la manière du son. » (243-244).
  3. Rosenberger, Geschichte der Physik, t. III, 1887, p. 61.
  4. Lettre d’Hippolyte Carnot, apud Compte rendu de l’Académie des Sciences, t. 87, 1878, p. 967. Cf. Planck, das Prinzip der Erhaltung der Energie, 2e édit., 1908, Leipzig et Berlin, p. 17.