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naître la génération proprement dite des événements naturels. Ce savoir est constitué par la jonction de deux éléments qui sont hétérogènes[1] : une forme de relations numériques, une matière de faits expérimentaux.

Les rapports de l’âme et du corps, pierre d’achoppement pour le dualisme cartésien, s’expliquent de la même façon, c’est-à-dire dans la même mesure : ils sont également arbitraires du point de vue intrinsèque, universels du point de vue phénoménal. La sagesse de Dieu, en établissant les lois de l’union entre l’âme et le corps, fonde la régularité de la succession entre certains mouvements dans l’étendue et certains sentiments dans la conscience, ou inversement entre certains sentiments et certains mouvements.

8. — Cette solidarité, cette pénétration étroite, où s’unissent, suivant la marque propre du génie malebranchiste, une intelligence lumineuse du dogme catholique et une critique aiguë de la connaissance scientifique, donnent aussi le moyen de comprendre quel rôle était réservé à Hume dans la divulgation des analyses décisives par lesquelles la Recherche de la Vérité avait ruiné, dès 1675, le réalisme de la causalité naturelle. Le chapitre qui, dans le Treatise of human Nature (1739), est consacré à la notion de connexion nécessaire, se réfère aux textes de Malebranche qui étaient bien connus, particulièrement en Angleterre[2]. Mais, après s’être donné à titre de résultats acquis les conclusions négatives de Malebranche, Hume insiste sur l’hypothèse de la transcendance, qui est liée, selon lui, à la doctrine des Idées, et il déclare se refuser à y trouver une solution positive du problème ; de sorte qu’il finit par condamner toutes les tentatives philosophiques pour prendre possession d’une causalité qui s’exercerait effectivement dans l’univers. Hume

  1. Cf. Entretiens, VI, 1 : « Tantôt la crainte de tomber dans l’erreur donnait la préférence aux sciences exactes, telles que sont l’arithmétique et la géométrie, dont les démonstrations contentent admirablement notre vaine curiosité. Et tantôt le désir de connaître, non les rapports des idées entre elles, mais les rapports qu’ont entre eux et avec nous les ouvrages de Dieu parmi lesquels nous vivons, m’engageait dans la physique, la morale et les autres sciences qui dépendent souvent d’expériences et de phénomènes assez incertains. »
  2. David Hume, Œuvres philosophiques choisies, trad. David, (t. II, 1912. p. 199). Dans son ouvrage sur l’Idéalisme anglais au XVIIIe siècle (1889), M. Georges Lyon a rétabli les intermédiaires par lesquels Malebranche apparaît comme l’une des sources les plus certaines et les plus importantes de la pensée de Berkeley et de Hume. On trouvera également des indications excellentes sur l’originalité et sur l’influence de Malebranche dans l’étude de Mario Novaro, Die Philosophie des Nikolaus Malebranche, Berlin, 1893.