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CHAPITRE XXXIV


LA PHYSIQUE POSITIVISTE


156. — Le titre seul de Mécanique Analytique définit l’idée maîtresse de Lagrange : faire de la mécanique ce que Descartes a fait de la Géométrie, une suite « d’opérations algébriques, assujetties à une marche régulière et uniforme ». Lagrange poussera donc plus loin que Descartes, il poussera jusqu’au bout, l’application de la méthode cartésienne. Dans sa Cosmologie, en effet, Descartes ne fait nul usage de la méthode proprement analytique ; c’est sur la représentation spatiale du mouvement qu’il fait reposer l’explication des phénomènes naturels[1], tandis que Lagrange se flatte qu’ « on ne trouvera point de figures dans son ouvrage », qu’il en a éliminé les constructions et les raisonnements géométriques ou mécaniques. La Mécanique est devenue « une nouvelle branche de l’Analyse » ; elle se compose d’un tissu d’équations différentielles.

Comment les équations fondamentales de ce système algébrique ont-elles été obtenues ? Lagrange s’est efforcé de réduire au minimum l’opération de la mise en équations ; il se réfère uniquement au principe des vitesses virtuelles, qu’il démontre, ou plus exactement qu’il illustre, en imaginant le déplacement infiniment petit d’un système formé par un ensemble de moufles, et en déterminant les conditions pour l’équilibre du système[2].

Cette façon de prendre le problème devait paraître singulièrement inquiétante aux contemporains : l’étroitesse et la fragilité de la base expérimentale contrastent avec la rigueur et la généralité des démonstrations analytiques que Lagrange y a suspendues. Pourtant (et après avoir commencé par s’être efforcé lui-même, comme fera plus tard Poinsot, « de suppléer au silence de l’inventeur[3] »), l’auteur de la

  1. Cf. les Étapes de la philosophie mathématique, § 66, p. 107.
  2. Œuvres de Lagrange, édit. Serret-Darboux, t. XI, 1888, p. 24. Voir les Étapes de la philosophie mathématique, § 174, p. 289.
  3. Mémoire sur la Statique contenant la démonstration du principe des vitesses virtuelles et la théorie des moments (1798), apud Œuvres, édit. Darboux, t. II, 1890, p. 478. Cf. les Étapes de la philosophie mathématique, § 175, p. 291.