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CHAPITRE XXXII


LA SURVIVANCE DU CONCEPTUALISME


147. — Après avoir dressé l’inventaire de cette conscience intellectuelle que Kant a déterminée par la réflexion sur la science moderne, nous devons procéder à une tâche inverse et complémentaire : montrer à quel point la décadence immédiate de la philosophie critique devait peser sur les savants eux-mêmes. À cet égard, et dans la génération même qui a suivi Kant, le développement de la biologie présente un exemple trop éclatant pour ne pas être rappelé ici.

En 1809, Lamarck fait paraître un ouvrage auquel l’avait préparé la pratique la plus longue des aspects variés que fournissent le monde végétal et le monde animal. Pour cet ouvrage, plus fourni d’exemples précis et topiques qu’on ne le dit d’ordinaire, mais dont on ne saurait contester pourtant que la hardiesse des idées y devance de beaucoup la valeur probante des faits, Lamarck revendique le titre de Philosophie, habile qu’il était, suivant l’expression remarquable de Geoffroy-Saint-Hilaire, « à poser des principes qu’il avait puisés dans des idées calculées de causalité[1] ».

Ces idées, ce sont celles-là même qui ont fait leur preuve depuis que l’intelligence humaine a tourné l’instrument mathématique vers l’explication de l’univers physique : c’est la solidarité qui dans l’espace relie l’objet particulier à l’ensemble de la nature, c’est dans le temps la dépendance de tout événement par rapport au cours changeant des circonstances et des conditions. De telles idées ont été imposées par la mécanique céleste de Newton. Le mouvement d’une planète n’est déterminé qu’en fonction d’autres membres du système solaire qui par leur masse et suivant leur distance agissent sur elle, comme elle agit sur eux, et en relation avec la réalité de cette variable indépendante que le temps constitue. Sans parvenir encore à introduire dans la biologie la précision rigoureuse que

  1. Mémoire sur le degré d’influence du monde ambiant pour modifier les formes animales (1831). Académie des Sciences N. S., t. XII, 1833, p. 81.