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à lui-même par la rigueur de l’analyse, c’est-à-dire lorsqu’il est considéré, indépendamment, tout à la fois, du sentiment initial qui en éclaire la tendance et qui est dû à la volonté, du sentiment subséquent qui nous avertit du résultat accompli et qui relève de la sensibilité externe ? Et, du moment qu’il est ainsi précisé, le problème se résout immédiatement. La conscience de l’effort est chez l’homme un témoignage de sa propre ignorance et de sa propre impuissance, qui devrait le contraindre, s’il avait le courage de se regarder tel qu’il est, à un aveu de faiblesse. Mais contre cet aveu sa nature mauvaise se révolte. « Je vois bien, dit le Verbe des Méditations chrétiennes (VI, 14), ce qui te trompe encore, c’est que pour remuer ton bras, il ne suffit pas que tu le veuilles, il faut pour cela que tu fasses quelque effort. Et tu t’imagines que cet effort, dont tu as sentiment intérieur, est la cause véritable du mouvement qui le suit, parce que ce mouvement est fort et violent, à proportion de la grandeur de ton effort. Mais, mon fils, vois-tu clairement qu’il y ait quelque rapport entre ce que tu appelles effort et la détermination des esprits animaux dans les tuyaux des nerfs qui servent aux mouvements que tu veux produire ?… Crois ce que tu conçois clairement, et non pas ce que tu sens confusément. Mais ne sens-tu pas même que souvent tes efforts sont impuissants ? autre chose est donc effort et autre chose efficace… Sache, mon fils, que tes efforts ne diffèrent de tes autres volontés pratiques que par les sentiments pénibles qui les accompagnent. »

Ainsi, Malebranche conteste qu’il y ait rapport, non seulement entre nos pensées et les mouvements de la matière, mais encore entre la volonté proprement dite, fonction de détermination, forme claire de l’activité psychologique, et la conscience de l’effort, fonction de réception, forme obscure de la sensibilité. Et ce n’est pas tout encore : la recherche de la causalité se poursuit jusque dans la région de l’esprit pur. Malebranche, avec ce regard d’une profondeur incomparable que les philosophes du xviie siècle ont jeté sur l’inconscient, montre comment l’effort intellectuel, comment la volonté de comprendre, ne sont que des appels à l’intelligence : l’intelligence dépasse ces appels, parce que les idées sont des réalités d’un tout autre ordre que les données sensibles de la conscience : « Nous connaissons par sentiment intérieur que nous voulons penser à quelque chose, que nous faisons effort pour cela, et que dans le moment de notre désir et de notre effort, l’idée de cette chose se présente à notre esprit. Mais nous ne connaissons point par sentiment