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pas avec la déduction des notions fondamentales qui permettent de rendre compte du mouvement ; le système newtonien est intégré au système de la physique rationnelle, de sorte que la tâche de la métaphysique serait de justifier more geometrico, non seulement l’existence des forces répulsives et attractives, mais encore la loi mathématique de leur action. Déjà ébauchée par Buffon au cours de sa controverse avec Clairaut[1], cette démonstration se présente sous la forme suivante : « La force attractive, si l’on considère sa sphère d’action, se propage de la surface de cette sphère vers son centre. Elle doit donc augmenter d’intensité à mesure que diminue sa surface, et elle varie, par conséquent, en raison inverse du carré des distances. Au contraire, la répulsion qui rayonne du centre de la sphère et en remplit tout le volume, variera en raison inverse du volume, c’est-à-dire du cube des distances[2]. »

Une telle entreprise ramène Kant sur le terrain de la cosmologie rationnelle où il avait jadis élevé sa Monadologia physica ; elle passe outre aux enseignements de la Dialectique transcendantale, qui interdisait de poser dans l’absolu un principe inconditionné. Car on ne peut espérer d’établir a priori le calcul de ces forces, si on n’en possède pas les caractéristiques, elles-mêmes fondées sur une connaissance directe de leur nature intime. Or, et précisément, Kant en fait l’aveu à la fin de la Phénoménologie : c’est un mystère que la manière dont la nature s’y prend pour mettre des limites à sa propre force expansive. (Trad. citée, p. 96.) Et dans le Scholie général de la Dynamique, il indique la raison de son échec. « Le concept de la matière est ramené à une collection de simples forces motrices, et l’on ne pouvait guère s’attendre à autre chose, puisque dans l’espace on ne peut concevoir aucune activité, aucune modification autre que le mouvement. Mais qui peut prétendre s’expliquer la possibilité des forces fondamentales ? » (Ibid, p. 57.)

140. — Les réserves et les hésitations de Kant soulignent la

  1. L’attraction « se doit mesurer, comme toutes les qualités qui partent d’un centre, par la raison inverse du carré de la distance, comme on mesure en effet, les quantités de lumière, d’odeur, etc., et toutes les autres quantités ou qualités qui se propagent en ligne droite et se rapportent à un centre. Or il est certain que l’attraction se propage en ligne droite, puisqu’il n’y a rien de plus droit qu’un fil à plomb… Les raisons métaphysiques, mathématiques et physiques, s’accordent donc toutes à prouver que la loi de l’attraction ne peut être exprimée que par un seul terme, et jamais par deux ou plusieurs termes. » Réflexions sur la loi de l’attraction apud Œuvres complètes, 1829, t. III, p. 170 et 202.
  2. Andler, Introduction à la traduction citée des Premiers principes de Kant, p. xi.