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du sentiment sont distincts ; ils sont encore séparés l’un de l’autre dans la réalité, car ils ne sont pas donnés dans la même région de l’âme. La conscience de ma volonté m’apparaît clairement dans la décision que je prends, m’étant placé moi-même vis-à-vis de moi-même, capable que je suis d’enfermer cette décision dans une formule, et de la déclarer à autrui. La conscience de l’effort, elle, n’est liée d’aucune façon à la représentation du but poursuivi ou des moyens employés ; elle apparaît avec l’exécution proprement dite et elle demeure, dans l’intimité de l’être, un sentiment d’une nature obscure et confuse. Quant au mouvement lui-même, c’est uniquement pour la commodité de son exposé que Malebranche accorde qu’il fasse l’objet d’un sentiment intérieur ; car il retire aussitôt dans une note la concession à laquelle il venait de souscrire. « Il me paraît évident que l’esprit ne connaît pas même par sentiment intérieur ou par conscience le mouvement du bras qu’il anime. Il ne connaît par conscience que son sentiment, car l’âme n’a conscience que de ses seules pensées. C’est par sentiment intérieur ou par conscience que l’on connaît le sentiment que l’on a du mouvement de son bras ; mais ce n’est point par conscience que l’on est averti du mouvement de son bras, de la douleur qu’on y souffre, non plus que des couleurs que l’on voit sur les objets. Ou si l’on n’en veut pas convenir, je dis que le sentiment intérieur n’est point infaillible, car l’erreur se trouve presque toujours dans ces sentiments lorsqu’ils sont composés. » (Ibid.)

Dès lors, sera-t-il vrai qu’à l’un des trois moments l’homme qui remue son bras s’aperçoive lui-même comme étant une véritable cause ? Cela ne peut pas avoir lieu, d’après la note même que nous venons de reproduire, au dernier de ces moments. En effet, dans le prétendu sentiment intérieur du mouvement, l’analyse exacte discerne nécessairement la subjectivité du sentiment et la réalité du mouvement : celle-ci n’étant point nécessairement liée à celle-là. Ne fait-on pas l’épreuve de cette singulière indépendance par les souffrances physiques qui semblent le plus manifestement impliquer la présence et le mouvement d’un organe défini ? « L’expérience apprend qu’il peut arriver que nous sentions de la douleur dans les parties de notre corps qui nous ont été entièrement coupées parce que les filets du cerveau qui leur répondent, étant ébranlés de la même manière que si elles étaient effectivement blessées, l’âme sent dans ces parties imaginaires une douleur très réelle. » (Recherche, I, 10.)

Restent, et la conscience de la volonté, d’une part, et,