Page:Brunschvicg - L'expérience humaine et la causalité physique, 1922.djvu/307

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


CHAPITRE XXX


LA PHILOSOPHIE KANTIENNE DE LA NATURE


136. — L’incomparable originalité de la doctrine kantienne se dégage ici en pleine lumière : Kant ajuste le rationalisme aux conditions et aux limites de l’expérience scientifique, et c’est par là qu’il résout définitivement les difficultés opposées par l’empirisme à la conception rationaliste de la causalité. La science, sans renoncer à la forme mathématique grâce à laquelle seule les relations apparaissent précises et vérifiables, puise dans l’expérience même les lois de l’ordre dans le temps, qui complètent les lois de la conservation à travers le temps. D’une part, la nécessité de joindre aux catégories un schème temporel pour leur fournir un champ d’application positive, élimine, au moins dans le domaine spéculatif, toute tentative pour atteindre la réalité d’un monde intelligible, pour constituer une cosmologie rationnelle, au sens plein d’une raison qui aurait pour objet le tout inconditionné. D’autre part, c’est cette nécessité qui garantit, dans le monde de l’expérience, l’objectivité du système des principes de l’entendement. Par là même que les illusions de la Dialectique transcendantale sont découvertes et définitivement dissipées, l’Esthétique transcendantale et l’Analytique transcendantale deviennent les Prolégomènes à toute métaphysique qui pourra se présenter comme science : « Toute vraie métaphysique est tirée de l’essence même de la faculté de penser, et ce n’est pas une raison parce qu’elle ne dérive point de l’expérience pour qu’elle soit une simple fiction ; mais elle contient les actes purs de la pensée, c’est-à-dire les concepts et les principes a priori qui font entrer la multiplicité des représentations empiriques dans l’ordre légal par lequel seul elle peut devenir connaissance empirique, c’est-à-dire expérience[1]. »

  1. Premiers principes métaphysiques de la science de la nature, trad. Andler et Chavannes, 1891, p. 8. Cf. Prolégomènes, § 17 : « Ce qu’il y a de formel dans la nature, c’est la conformité à des lois de tous les objets de l’expérience et dans la mesure où elle est connue a priori leur conformité nécessaire. »