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CHAPITRE XXIX


CONDAMNATION DES ANCIENNES
MÉTAPHYSIQUES


132. — Nous n’avons pas cru qu’il fût possible de chercher à simplifier une pensée dont le rythme et dont la valeur impliquent sinuosités et complications. Nous devons dégager maintenant, dans ce qu’elle contient de singulièrement profond et de singulièrement original, la théorie à laquelle aboutit l’élaboration critique des rapports entre l’expérience et la causalité.

Pour les prédécesseurs de Kant, la solution des difficultés relatives au mouvement, à la force, à la causalité qui leur sert de lien, devait consister à détacher de l’expérience ces notions pour les transformer en idées pures de la raison telles qu’étaient (on le supposait du moins) le nombre et l’espace. Or ce programme n’avait pu être rempli. Afin de lui conférer la valeur d’une science véritable, on s’était efforcé d’affranchir la physique de tout contact avec la réalité ; on s’était exposé à la dépouiller des propriétés spécifiques par quoi elle se présentait en contraste avec la mathématique pure. La constitution de la mécanique comme discipline rationnelle semblait accroître le danger, plutôt qu’elle ne le conjurait ; car, s’il était vrai que la mécanique fût susceptible d’être exposée tout entière à l’aide de l’appareil adopté depuis Euclide pour la géométrie, il en résultait que les propositions initiales devaient apparaître comme des abstractions, coupées de toutes racines dans la profondeur des choses, surgies, sous la forme où leur définition les livrait, du cerveau du mathématicien.

Pour sa part, Kant ne renonce nullement au principe cartésien suivant lequel, pour la connaissance spéculative de l’univers, il n’y a qu’un type de vérité, le type mathématique ; « dans toute théorie particulière de la nature, il n’y a de scientifique, au sens propre du mot, que la quantité de mathématiques qu’elle contient[1] ». Mais il ne conclut pas que la méca-

  1. Premiers principes métaphysiques de la science de la nature, trad. Andler-Chavannes, 1891, p. 6.