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de corps, ramenée aux idées claires et distinctes qui la constituent, c’est-à-dire aux dimensions de l’étendue, ne renferme rien qui marque la puissance d’effectuer un changement ; et ici Malebranche, à son tour, invoquera l’évidence : « Il est évident que tous les corps grands et petits n’ont point la force de se remuer. Une montagne, une maison, une pierre, un grain de sable, enfin le plus petit ou le plus grand des corps que l’on puisse concevoir n’a point la force de se remuer. » (Ibid.)

On peut admettre qu’une telle conclusion s’impose immédiatement en présence du mouvement qui se produit dans un corps, ou d’une communication de mouvements entre certains corps, puisque, aussi bien, l’esprit, étant alors simple spectateur du mouvement, ne saurait prétendre à percevoir du dehors la force d’où le mouvement procède. Mais le problème est-il résolu pour le mouvement dont je prends l’initiative et que j’effectue par la force de ma volonté, lorsque, par exemple, je remue le bras ? Alors n’aurai-je pas le droit de dire : « Je connais par le sentiment intérieur de mon action que j’ai véritablement cette force ; ainsi je ne me trompe point de la croire » ? (Éclaircissement XV, Réponse à la VIe preuve.)

Non seulement Malebranche, par une anticipation remarquable des thèses que la psychologie française devait développer, avec Destutt de Tracy, et surtout avec Maine de Biran, a compris que l’appel au sentiment intérieur était la pierre angulaire de la doctrine empirique de la causalité. Mais il a démêlé en même temps à quelles équivoques et à quelles confusions prête l’idée de sentiment intérieur. Quand on réclame pour ce sentiment le privilège de l’infaillibilité, on sous-entend qu’il est une donnée simple de la conscience. Or, dès que l’on analyse avec rigueur la connaissance que l’on a du mouvement par lequel on remue le bras, on s’aperçoit de la richesse et de la complexité des réalités psychologiques que le sentiment comprend : « Lorsqu’on remue son bras, on a sentiment intérieur de la volonté actuelle par laquelle on le remue ; et, ajoute Malebranche, l’on ne se trompe point de croire qu’on a cette volonté. On a de plus sentiment intérieur d’un certain effort qui accompagne cette volonté, et l’on doit croire aussi qu’on fait cet effort. Enfin je veux qu’on ait sentiment intérieur que le bras est remué dans le moment de cet effort ; et cela supposé, je consens aussi que l’on dise que le mouvement du bras se fait dans l’instant qu’on sent cet effort, que l’on a une volonté pratique de le remuer. » (Ibid.)

Ce n’est pas en théorie seulement que ces trois moments