Page:Brunschvicg - L'expérience humaine et la causalité physique, 1922.djvu/291

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


CHAPITRE XXVIII


LA DEUXIÈME ANALOGIE DE L’EXPÉRIENCE


128. — Loin d’être une conclusion, la Dissertation sur la forme et les principes du monde sensible et du monde intelligible n’aboutira donc, pour ce qui concerne la doctrine de la causalité, qu’à définir un problème, et d’une telle difficulté que Kant y consacrera une longue période de laborieuse méditation.

L’idée critique a pris conscience de soi, grâce à la solution du paradoxe des objets géométriques ; elle implique une inversion fondamentale, dont Hume ne s’était jamais douté[1], aussi décisive cependant pour la théorie de la science de la connaissance que la révolution due à Copernic l’a été pour la science elle-même. Hume se donnait, ou supposait qu’il lui était donné, une expérience qui, interrogée du dehors et recueillie dans sa pureté originelle, aurait à se prononcer sur l’objectivité des relations synthétiques. Selon Kant, l’expérience, qui est présentée à un sujet, dépend de la structure de ce sujet, auquel est attribué le pouvoir formel d’un législateur. Nous aurons le droit de puiser dans l’expérience la nécessité et l’universalité des rapports proprement scientifiques si nous sommes capables d’établir que nous y avons effectivement introduit les principes de ces rapports[2]. Il s’agira donc de concevoir, dans le cas du rapport entre la cause et l’effet, une opération telle que seraient inscrites dans la réalité, sous l’aspect où la perception sensible nous la fournit, les lois a priori dont procède l’expérience en tant que telle.

Ainsi posé, le problème apparaîtra, dans le domaine de la causalité, tout autre que pour l’arithmétique et la géométrie. La perception, si elle n’est possible que dans l’espace et dans le temps, est, par contre et en tant qu’appréhension immédiate, affranchie de la connexion causale. Il existe un jugement de perception, qui se borne à enregistrer la succession

  1. Prolégomènes, § 30.
  2. Critique. Deuxième Analogie, B. I, 257.