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LIVRE XI

La solution Kantienne.




123. — Dans le domaine de la mécanique, comme d’ailleurs dans le domaine de l’analyse infinitésimale, la pensée du XVIIIe siècle offre un mélange, assez déconcertant au premier abord, de sécurité pratique et d’incertitude théorique. La notion de causalité apparaît au centre de ces embarras : on voit bien qu’elle est liée à l’introduction des principes fondamentaux de la science qui ne saurait, sans elle, prendre contact avec la réalité concrète ; mais en même temps on s’effraie du caractère abstrait et métaphysique que l’on est contraint de lui reconnaître. Les savants du XVIIIe siècle conservent le sentiment que la mécanique a besoin d’une base philosophique ; toutefois, comme ils n’ont guère confiance dans la raison livrée à ses propres ressources, dans l’intellectus sibi permissus, ils voudraient réduire cette base au minimum, méthode économique en apparence, mais qui finit dans l’application par tout embrouiller et par tout obscurcir. L’œuvre du génie Kantien a été au contraire de regarder les difficultés en face, sans rien faire pour en atténuer ou l’ampleur ou l’acuité, de traiter pour lui-même le problème de la causalité, afin de parvenir, sur le terrain proprement philosophique de la théorie de la connaissance, à renverser les obstacles auxquels les savants, en tant que savants, avaient la conscience qu’ils se heurtaient, sans disposer d’une méthode capable d’en triompher.

Ceci ne signifiera nullement, d’ailleurs, que la doctrine Kantienne de la causalité puisse être déduite comme une conséquence particulière des idées qui constituent l’originalité de la critique. Bien plutôt, l’attitude d’où procède la révolution critique, s’est élaborée lentement en partant des questions posées par la coexistence du mécanisme cartésien, du dynamisme leibnizien et du dynamisme newtonien, s’étendant de là aux questions qui concernent la possibilité d’une science rationnelle en général, et de jugements synthétiques a priori.