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CHAPITRE PREMIER


LES ANALYSES DE MALEBRANCHE


4. — Dans une étude historique où l’histoire serait à elle-même son propre but, il conviendrait sans doute d’insister sur les théories de Cordemoy, de Louis de la Forge, de Glanvil, surtout de Geulinex. Pour l’objet que nous poursuivons, il nous suffit de nous attacher à Malebranche, non sans avoir rappelé toutefois à quel point son attitude est éclairée par l’attitude toute semblable de Geulinex. Si tous deux mettent au centre de leur philosophie la critique de la causalité aristotélicienne, ce n’est pas seulement pour des raisons scientifiques et spéculatives, parce qu’une connaissance solide de l’univers ne peut se constituer que sur la base des liaisons mathématiques, c’est aussi pour des raisons morales et religieuses, parce que la foi chrétienne doit être purgée des éléments païens que les docteurs scolastiques avaient recueillis, en suivant l’exemple des Arabes et des Juifs. De ce double point de vue, Malebranche aborde le problème de « l’efficace attribuée aux causes secondes ».

Les créatures de Dieu, êtres vivants ou objets inanimés, peuvent-elles être les causes d’un changement dans l’univers ? Il semble impossible d’en douter sans se heurter à l’évidence : « Quand j’ouvre les yeux, il me paraît évident que le soleil est tout éclatant de lumière, que non seulement il est visible par lui-même, mais qu’il rend visibles tous les corps qui l’environnent ; que c’est lui qui couvre la terre de fleurs et de fruits, qui donne la vie aux animaux et qui, pénétrant même par sa chaleur jusque dans les entrailles de la terre, y produit les pierres, les marbres et les métaux. » Ou encore (et Malebranche met en avant l’exemple qui fera fortune avec Hume) : « Quand je vois une boule qui en choque une autre, mes yeux me disent, ou semblent me dire, qu’elle est véritablement cause du mouvement qu’elle lui imprime[1]. »

Cette prétendue évidence, Malebranche l’ébranle au nom

  1. XVe Éclaircissement à la Recherche de la Vérité, sur le chapitre troisième de la seconde partie du sixième livre (avant la première preuve).