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où apparaissent et la raison suffisante et la cause motrice. « Un corps ne peut se déterminer de lui-même au mouvement puisqu’il n’y a pas de raison pour qu’il se meuve d’un côté plutôt que d’un autre. Corollaire. De là il s’ensuit que si un corps reçoit un mouvement pour quelque cause que ce puisse être, il ne pourra de lui-même accélérer ni retarder ce mouvement… La même raison qui a fait agir la cause motrice constamment et uniformément pendant un certain temps, subsistant toujours tant que rien ne s’oppose à cette action, il est clair que cette action doit demeurer continuellement la même et produire constamment le même effet[1]… »

L’embarras qu’éprouve d’Alembert à prendre parti sur la conception de la science qui occupe au xviiie siècle le centre du savoir humain, a sa répercussion dans le Discours préliminaire de l’Encyclopédie. Le « Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers » était destiné à consacrer l’ère des connaissances positives, définitivement substituées aux préjugés de la métaphysique et aux traditions de la théologie. Or voici que, dès le Discours préliminaire, d’Alembert est amené à enregistrer, à souligner avec insistance, le contraste entre ce que la science devrait être et ce qu’elle est. En droit, la science est une ; la remarque que suggèrent à d’Alembert les propriétés des corps électriques, est devenue classique : « Cette vertu qu’ils acquièrent, étant frottés, d’attirer de petits corpuscules, et celle de produire dans les animaux une commotion violente, sont deux choses pour nous ; c’en serait une seule si nous pouvions remonter à la première cause. L’univers, pour qui saurait l’embrasser d’un seul point de vue, ne serait, s’il est permis de le dire, qu’un fait unique et une grande vérité. » Seulement, cette idée du savoir se trouve effectivement démentie par l’image que d’Alembert trace de la réalité scientifique dans les pages qui précèdent presque immédiatement. « À l’égard des sciences mathématiques, écrit d’Alembert, leur nature et leur nombre ne doivent point nous en imposer… » Et il ajoute, reproduisant les premières lignes de sa Préface au Traité de Dynamique : « Comme toutes les parties des mathématiques n’ont pas un objet également simple, aussi la certitude proprement dite, celle qui est fondée sur des principes nécessairement vrais et évidents par eux-mêmes, n’appartient ni également ni en la même manière à toutes ses parties. Plusieurs d’entre elles, appuyées sur des principes physiques, c’est-à-dire sur des vérités d’expérience

  1. Dynamique, éd. 1758, p. 4-6. Cf. Meyerson, Identité et réalité, 2e édit., 1912, p. 126-127.