Page:Brunschvicg - L'expérience humaine et la causalité physique, 1922.djvu/272

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

CHAPITRE XXVI


L’EMBARRAS DES SAVANTS DU XVIIIe SIÈCLE


117. — L’espérance qu’après Descartes le XVIIe siècle avait pu former, de trouver dans la conception mécaniste de l’univers une solution définitive au problème de la causalité, ne s’est pas réalisée, Non seulement, avec Leibniz et avec Newton, l’on assiste au retour de cette notion de force qui paraissait avoir été chassée de la philosophie par le discrédit de la tradition scolastique, mais ce retour s’effectue selon deux voies différentes, qui conduisent à deux notions de la force, incompatibles entre elles. La notion leibnizienne de force vive est taxée d’imaginaire par les newtoniens, parce qu’elle procède d’une spéculation métaphysique, dont la vérité n’a pas été soumise à l’épreuve des faits ; la notion newtonienne, ou post-newtonienne, de force est taxée d’imaginaire par les leibniziens, parce qu’elle ne satisfait pas aux conditions de contact spatial qui sont requises par l’intelligence scientifique. Un double conflit est à résoudre pour le xviiie siècle : à l’intérieur de la mécanique rationnelle, entre Cartésiens et Leibniziens, le conflit du mécanisme et du dynamisme ; et, d’autre part, à l’intérieur du dynamisme, entre Leibniziens et Newtoniens, le conflit du mathématisme métaphysique et du mathématisme expérimental.

118. — À vrai dire, la première querelle est une querelle de famille, d’autant plus vive et d’autant plus irritante qu’elle a moins de base objective ; et il suffit, pour la résoudre, de bien s’entendre sur le langage que l’on emploie en acceptant qu’il y ait place pour deux terminologies différentes ou plus exactement pour deux systèmes différents de mesure. C’est ce que d’Alembert devait établir, dans le Discours préliminaire à son Traité de Dynamique (1743). En remontant (comme il dira dans le Discours Préliminaire de la Seconde Édition, (1758) « jusqu’aux principes métaphysiques de la question des forces vives, on voit que le nœud de cette question est dans l’usage fait du « prétendu axiome » de la proportion-