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aussi ce caractère que ce sont, historiquement, des essais de réaction contre des résultats qui avaient été considérés comme acquis dès la constitution de la science physique. L’occasionnalisme dont Descartes avait posé le principe, implique chez les Cartésiens une critique de la causalité naturelle, qui se précise avec Geulinex et Malebranche. Cette critique, au xviie siècle, peut paraître subordonnée encore à un dogmatisme dont elle est comme l’envers. Hume, en la reproduisant, lui enlève son allure systématique : il l’intègre au patrimoine commun de la pensée moderne. La nature, interrogée par l’expérience, ne fournit entre les phénomènes aucune connexion positive et objective.

Ainsi, l’affirmation empiriste de la causalité, qui au premier abord, semblait s’offrir directement, n’est nullement primitive. Elle est la contre-partie d’une négation qui s’est imposée dès l’avènement de la science véritable en matière physique. D’autre part, cette négation elle-même ne trouvait en face d’elle aucune thèse qui fût le produit d’une réflexion proprement critique. Sans doute, dans l’antiquité, la polémique des sceptiques s’était dirigée contre la causalité, mais c’était en revêtant la forme d’une dialectique qui visait à détruire une autre dialectique. Les arguments de Diodore Cronos ou d’Ænésidème portent contre les postulats d’ordre métaphysique sur lesquels était édifié le dogmatisme des Aristotéliciens, puis des Stoïciens. Les sceptiques anciens étaient si éloignés de mettre en doute l’expérience de la causalité que dans leur école, du moins à partir de Ménodote, on assiste à un effort méthodique pour tirer de l’expérience des propositions générales autorisant la prévision : « En médecine, écrit Sextus Empiricus dans l’Adversus Mathematicos (V, 104), si nous savons qu’une lésion du cœur entraîne la mort, ce n’est pas à la suite d’une seule observation, mais après avoir constaté la mort de Dion nous constatons celle de Théon, de Socrate et de bien d’autres[1] » Dans l’antiquité donc, l’empirisme était comme la limite du scepticisme. Par contre, la critique de la causalité naturelle, telle que les Cartésiens l’ont développée, en l’appuyant sur l’intelligence de la physique mathématique, marquera un progrès décisif de la philosophie.

  1. Brochard. Les sceptiques grecs, 1889. p. 363.