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LES DIFFICULTÉS DE LA CAUSALITÉ NEWTONIENNE

qui a été tenté sur la base du mécanisme risque de se trouver nul et non avenu. Par exemple, Voltaire sait à quel point l’Optique de Malebranche est originale[1]. Il écrit : « Malebranche vient à son tour et vous dit : il est vrai que Descartes s’est trompé ; son tournoîment de globules n’est pas soutenable ; mais ce ne sont pas des globules de lumière, ce sont de petits tourbillons tournoyants de matière subtile, capables de compression, qui sont la cause des couleurs ; et les couleurs consistent, comme les sons, dans des vibrations de pression[2]. » Or, Voltaire ne fait allusion à cette hypothèse qu’afin de souligner la dissidence entre le maître et le disciple, par là de tourner la fragilité de l’hypothèse initiale et l’instabilité de l’école au profit de la seule théorie newtonienne. D’où la conclusion suivante : tandis que les cartésiens avaient corrigé Descartes de manière à concilier les principes d’une explication rationnelle avec la découverte de la vitesse de la lumière, les newtoniens, renchérissant sur Newton, qui n’exclut pas d’une façon absolue l’hypothèse de l’éther, en arrivent à retarder les progrès de l’optique par fidélité au dogme de l’École[3].

Un spectacle exactement semblable s’offre à nous en ce qui concerne l’idée même de la causalité.

Descartes léguait à ses disciples deux types extrêmes de relation entre antécédent et conséquent. L’un, qui est le fondement du mécanisme, apparaît avec une irréprochable clarté dans le jeu des machines. Le mouvement se transmet d’un organe à un autre, par des intermédiaires visibles, suivant un rapport intelligible. Mesuré par le produit de la masse et de la vitesse, il demeure identique à lui-même. Et la satisfaction pleine que procure à l’esprit la forme de l’égalité mathématique s’accompagne de la satisfaction pleine que procure aux yeux le spectacle d’un engrenage qui, sans lacune dans la liaison, conduit du point de départ au point d’arrivée.

D’autre part, en faisant de l’univers des mouvements un monde qui se suffit à lui-même, en excluant toute action de forces d’un ordre transcendant à la matière, Descartes établissait entre les phénomènes organiques et les faits psychiques une barrière d’hétérogénéité infranchissable à la méthode des idées claires et distinctes. D’un domaine à l’autre, il y a sans doute communication. Mais ces rapports qu’il faut bien constater, la raison ne saurait, sans contredire à ses propres prin-

  1. Voir Lasswitz, Geschichte der Atomistik, t. II, 1890, p. 426, et l’étude approfondie de Duhem : L’Optique de Malebranche. Revue de Métaphysique et de Morale, 1916, p. 37-91.
  2. Éléments de la Philosophie de Newton, IIe partie, ch. X.
  3. Léon Bloch, la Philosophie de Newton, p. 621.