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LIVRE X

La Crise de la philosophie mécanique.




CHAPITRE XXV


LES DIFFICULTÉS DE LA CAUSALITÉ
NEWTONIENNE


112. — Au premier abord, l’apparition des Principes mathématiques de la Philosophie naturelle marque un point d’arrivée, correspondant à un dénoûment. La science moderne, dont l’auteur du Novum Organum était si loin encore d’entrevoir le caractère véritable, a, soixante ans après la mort de Bacon, revêtu dans l’œuvre de Newton une forme qui paraît définitive. Le savoir exact, pour les Anciens, s’arrêtait aux cadres formels de la logique ou aux relations idéales de la géométrie ; l’univers physique demeurait presque entièrement abandonné aux spéculations abstraites de la cosmologie aristotélicienne. Avec le xviie siècle, l’instrument intellectuel est forgé, qui désormais permet de capter la réalité concrète, en déterminant les phénomènes à l’aide d’éléments mesurables, de « dimensions » suivant l’expression cartésienne. Une fois mesurés, les éléments se prêtent à des transformations d’ordre analytique ou géométrique. À partir des données initiales, le cours de la pensée mathématique est donc capable d’atteindre un état nouveau, dont l’expérience montre qu’il coïncide avec l’état effectif que le cours de la nature réelle présente au moment qui a été prévu et fixé par le calcul.

Entre le cours de la pensée et le cours de la nature s’établit une connexion qui atteste la valeur objective de la science, et qui donne à la vérité son sens plein et fort ; tel est le résultat acquis par le xviie siècle, et sur lequel l’humanité ne reviendra pas.