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LIVRE PREMIER

La Critique de la Causalité naturelle.




1. — Nous nous proposons de faire une enquête sur les rapports entre l’expérience humaine et la causalité physique, sans subordonner à aucune idée préconçue la méthode appliquée dans cette enquête. Or, parmi les idées préconçues dont les théories de la connaissance nous paraissent avoir souffert, l’une des plus tenaces, favorisée par les formes du langage (spécialement en français où l’expérience est d’une façon courante également employée pour désigner le fait d’observer : Erfahrung, et le fait d’expérimenter : Experiment), consiste dans le lien que l’on suppose établi entre la valeur dogmatique de l’empirisme et l’importance attribuée à l’expérience pour l’acquisition du savoir scientifique. Dès lors, nous devrons consacrer la première partie de ce travail à l’examen des systèmes empiristes qui offrent l’interprétation la plus simple de l’expérience physique. Mais nous ne nous laisserons pas faire ce qu’on serait tenté d’appeler « le coup de la carte forcée », c’est-à-dire que nous refuserons d’admettre a priori qu’à défaut d’adopter le principe de l’empirisme la philosophie soit hors d’état de faire jouer à l’expérience un rôle indispensable et décisif. En d’autres termes, l’empirisme est pour nous une doctrine de l’expérience au milieu d’autres doctrines.

2. — Qu’est-ce qui caractérise l’empirisme ? C’est le postulat suivant lequel l’expérience se suffit à soi-même. L’esprit, envisagé indépendamment de la nature, ne possède aucune ressource pour ajouter quoi que ce soit au tableau de ce que la nature lui apporte ; le contenu de la connaissance vient tout entier du dehors. D’autre part, c’est de ce contenu, en tant que