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CHAPITRE XXIV


LA CAUSALITÉ SELON NEWTON


107. — Aucun Dieu peut-être ne ressemble à son créateur autant que le Dieu de Leibniz. Cette monade centrale, qui se contemple elle-même sous ses divers aspects, qui s’exprime en une infinité de fulgurations, toutes identiques en leur fond et différant toutes pourtant avec le moment et selon le point de vue, c’est l’image fidèle du philosophe. Si amples et si nombreux sont les replis où sa pensée tour à tour s’enveloppe et se déroule qu’après deux siècles on ne peut encore assurer qu’ils aient été tous divulgués.

Tout d’abord, la profondeur du génie leibnizien devance les temps. Ainsi, pour être en état de comprendre tout ce que portait en soi, dans l’esprit même de Leibniz, le principe de la conservation de la force, il a fallu attendre le milieu du xixe siècle. Leibniz écrivait à Clarke dans les derniers mois de sa vie : « J’avais soutenu que les forces actives se conservent dans le monde. On m’objecte que deux corps mols ou non élastiques, concourant entre eux, perdent de leur force. Je réponds que non. Il est vrai que les touts la perdent par rapport à leur mouvement total, mais les parties la reçoivent, étant agitées intérieurement par la force du concours ou du choc. Ainsi, ce déchet n’arrive qu’en apparence. Les Forces ne sont point détruites, mais dissipées parmi les parties menues. Ce n’est pas les perdre, mais c’est faire comme font ceux qui changent la grosse monnaie en petite[1]. »

Il faut aussi tenir compte des particularités qui caractérisent l’histoire du leibnizianisme, faire le départ entre ce que Leibniz a livré de son système au public, et ce qu’il en a gardé pour lui-même dans le secret d’une méditation sans cesse renouvelée, ou ce qu’il a laissé entrevoir à ses corres-

  1. 5e Écrit contre Clarke, sur le § 38, G., VII, 414. (Voir aussi Lettre à l’Hospital, du 15 janvier 1696, M. II, 308.) Sur quoi Henri Poincaré remarque (Thermodynamique, 2e édit., 1908, p. 7) : « On ne pouvait exprimer plus clairement l’hypothèse qui a été l’origine de la théorie mécanique de la chaleur. » Cf. Bouasse, Introduction à l’Étude des Théories de la Mécanique, 1895, p. 266.