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CHAPITRE XXII


LA CAUSALITÉ SELON GALILÉE


97. — Bacon et Descartes n’étaient guère contemporains que par l’âge ; Galilée et Descartes sont contemporains par la pensée. Avec Galilée, ont pris fin les tâtonnements, les confusions de la Renaissance ; la connaissance, qui est partielle, fragmentaire peut-être, a pris, malgré cela ou à cause de cela, une forme de science positive qui la rend inattaquable. L’historien ne saurait souhaiter un document plus caractéristique, à cet égard, que la lettre adressée par Descartes à Mersenne, le 11 octobre 1638 : « Je trouve en général qu’il philosophe beaucoup mieux que le vulgaire, en ce qu’il quitte le plus qu’il peut les erreurs de l’École, et tâche à examiner les matières physiques par des raisons mathématiques. En cela je m’accorde entièrement avec lui et je tiens qu’il n’y a pas d’autre moyen pour trouver la vérité. Mais il me semble qu’il manque beaucoup en ce qu’il fait continuellement des digressions et ne s’arrête point à expliquer tout à fait une matière ; ce qui montre qu’il ne les a point examinées par ordre, et que, sans avoir considéré les premières causes de la nature, il a seulement cherché les raisons de quelques effets particuliers, et ainsi qu’il a bâti sans fondement. » (A. T., II, 380.)

Après bientôt deux siècles, il semble que le jugement prononcé par Descartes témoigne surtout en faveur de celui qu’il juge. Rien n’ajoute à notre admiration pour les découvertes de Galilée, comme cette circonspection qui se réfère, pour mesurer la qualité scientifique du savoir, non à l’ampleur de la sphère qu’il embrasse, mais à l’exactitude et à la solidité du résultat qu’il atteint. Pour Galilée, c’est à l’expérience qu’il appartient de faire la preuve, et, par suite d’affirmer la vérité sous la forme catégorique ; par contre, ce qui vient de l’esprit, tout comme ce qui vient de la tradition, à commencer par la tradition aristotélicienne, n’est qu’hypothèse[1].

Le rapport de l’hypothèse à la vérité, qui est aussi le rap-

  1. Discorso interno alle cose che stanno in su l’acqua o che in quella si muovono (1612). Edit. nazionale, t. IV, Florence, 1891, p. 88.