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darité ne doit pas être, dans la perspective de l’histoire, considérée comme un accident, dû au parti pris d’un philosophe. N’est-ce pas une illusion d’en faire l’événement décisif qui a mis fin au crédit de la spéculation antique, alors que dans la première moitié du xviie siècle, soit avec Bacon, soit avec Galilée, une notion de causalité se faisait jour qui, tout en excluant le dynamisme et la finalité, ne se rendait pas suspecte de substituer aux postulats d’une métaphysique périmée un nouveau type de dogmatisme métaphysique, car elle ne supposait d’autre règle du vrai que la conformité à l’expérience faite sur le réel ?

En face de la causalité cartésienne, nous aurons donc à examiner ce qu’a été la causalité, pour Bacon d’une part, pour Galilée de l’autre. Cet examen peut avoir un double intérêt. Il achèverait de fixer la signification exacte du cartésianisme ; d’autre part, il restituera leur place à des influences parallèles et rivales qui, pour avoir été éclipsées ou subordonnées dans la génération qui a suivi Descartes, ne sauraient cependant être négligées sans que la physionomie de l’intelligence moderne ne paraisse faussée par une simplification arbitraire.

95. — Répondant à Mersenne qui désirait savoir le moyen de faire des expériences utiles, Descartes commence par le renvoyer à Bacon : « Je n’ai rien à dire après ce que Verulamius en a écrit[1]. » Il recommande seulement qu’on ne perde pas son temps et son argent « à rechercher toutes les petites particularités touchant une matière ». Nous avons vu, d’ailleurs, quel rôle Descartes faisait jouer, dans les tournants décisifs de la déduction, à l’expérience cruciale qui est la pièce maîtresse du Novum organum. Quant à Bacon, on peut dire qu’il apprécie autant que quiconque les services que peuvent rendre à l’investigation naturelle les procédés de mesure maniés par les mathématiciens[2]. La recherche a pris le tour le meilleur lorsque la physique se termine dans la mathématique : Optime cedit inquisitio naturalis, quando physicum terminatur in mathematico[3]. Et l’union du mathématique et du physique a un fondement doctrinal dans l’enthousiasme que Bacon professe pour le génie de Démocrite, dans l’adhésion qu’il donne, sur plus d’un point important, à la philo-

  1. Lettre du 23 décembre 1630, A. T., I, 195. Cf. Sortais, la Philosophie moderne depuis Bacon jusqu’à Leibniz, t. I. 1920, p. 469.
  2. Novum Organum (que nous désignerons par N. O.), II, 52. Voir Charles Adam, la Philosophie de Bacon, 1890, p. 248.
  3. N. O., II, 8. Cf. de Dignitate et Augmentis Scientiarum, III, 6.