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CHAPITRE XXI


LA CAUSALITÉ SELON BACON


94. — À la doctrine aristotélicienne des quatre causes, nous croyons que l’on pourrait, avec une égale exactitude, appliquer le jugement que Cournot a porté sur la doctrine des quatre éléments. « La doctrine des « quatre éléments » fait partie de cet enseignement ou de ce catéchisme donné dans les écoles de prêtres ou de philosophes, qui n’est pas de la science, mais qui en tient lieu en attendant l’avènement de la science, et qui lui réserve en quelque sorte ses droits dans l’avenir[1]. » L’avènement du cartésianisme serait l’avènement de la science, pour autant que, dans la philosophie cartésienne, rien ne subsiste de la théorie des causes aristotéliciennes. La causalité, physiquement parlant, n’est pas autre chose, selon Descartes, que la raison, mathématiquement parlant : Causa sive ratio[2].

Toutefois, et par rapport au but de cette étude, il ne saurait nous suffire d’avoir montré qu’il y a opposition radicale, rupture de pensée, entre la doctrine aristotélicienne et la doctrine cartésienne de la causalité. Le problème est de décider si c’est par le cartésianisme que passe le courant menant, dans le monde moderne, à une conception scientifique de la causalité. Or, on est tenté d’en douter lorsqu’on envisage le caractère dogmatique et métaphysique du mathématisme cartésien. Une théorie mathématique de la nature signifie que la causalité se définit comme un rapport déterminé avec précision entre un antécédent et un conséquent, qui sont tous les deux mesurables ; elle n’implique nullement que ce rapport lui-même doive, pour être affirmé comme vrai, se ramener à l’évidence d’une intuition purement géométrique, ou être l’objet d’une démonstration a priori. Les deux thèses sont dans le rationalisme cartésien solidaires l’une de l’autre. Mais précisément nous nous posons la question de savoir si cette soli-

  1. Considérations sur la marche des idées et des événements dans les temps modernes, t. II, 1872, p. 9.
  2. Quatrièmes réponses aux Objections (d’Arnauld) contre les Méditations, A. T., VII, 236.