Page:Brunschvicg - L'expérience humaine et la causalité physique, 1922.djvu/209

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

se mouvoir. (Ibid., III, 26.) Mais on pourrait adopter, remarque Descartes, une autre façon de parler qui serait, s’il fallait en croire le texte des Principes (III, 29), une concession à l’usage et une impropriété, sinon une méprise : on pourrait se servir des étoiles fixes qui gardent entre elles toujours une même situation, et les considérer comme stables pour déterminer le lieu de la terre. On conclurait alors que la terre se meut « au même sens qu’on peut dire quelquefois de ceux qui dorment et sont couchés dans un vaisseau, qu’ils passent cependant de Calais à Douvres, à cause que le vaisseau les y porte[1] ». Grâce à quoi (ne trompant de ses lecteurs que ceux qui voulaient bien se laisser tromper puisqu’il les avait avertis publiquement, dans la dernière partie du Discours de la Méthode, des précautions auxquelles il était astreint par la condamnation de Galilée) Descartes évitera de se prononcer formellement entre l’hypothèse de Copernic (encore qu’elle lui « semble quelque peu plus simple et plus claire ») et celle de Tycho-Brahé ; en effet, toutes deux, « en tant qu’on les prend seulement pour des suppositions, expliquent également bien les phénomènes, et il n’y a pas beaucoup de différence entre elles ». (Ibid., III, 17.)

Puisque le mouvement est défini comme un pur rapport d’intelligence, la raison est capable de poser a priori les lois suivant lesquelles le mouvement se transmet d’un moment à un autre, se communique d’un corps à un autre. À la transmission dans le temps, s’applique le principe d’inertie, d’où résulte la constance de la vitesse dans l’unité de direction. « Tout corps qui se meut tend à continuer son mouvement en ligne droite. » (Ibid., II, 39.) Cette proposition est présentée par Descartes comme ne contenant en soi rien de plus que l’affirmation du mouvement par lui-même : « Le repos est contraire au mouvement, et rien ne se porte par l’instinct de sa nature à son contraire, ou à la destruction de soi-même. » (Ibid., II, 37.)

Une même forme de constance s’applique à la communication du mouvement. Dans l’univers une égale quantité de mouvement se conserve : « Lorsqu’une partie de la matière se meut deux fois plus vite qu’une autre, et que cette autre est deux fois plus grande que la première, nous devons penser qu’il y a autant de mouvement dans la plus petite que dans la plus grande, et que toutes fois et quantes que le mouvement d’une partie diminue, celui de quelque autre partie augmente à proportion. » (Ibid., II, 36.) L’univers est ainsi compris dans

  1. Cf. Adam, Vie et Œuvres de Descartes, p. 378.