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CHAPITRE XIX


LA CRISE DU DYNAMISME ARISTOTÉLICIEN


83. — Nous nous sommes bornés à effleurer l’œuvre immense de Thomas d’Aquin. Nous avions seulement à marquer, par quelques textes caractéristiques, le terme d’une évolution : celui où sont atteints, tout à la, fois, du point de vue logique le maximum de rigidité, du point de vue théologique le maximum d’autorité. Par là s’accuse, à nos yeux, la capacité du dynamisme aristotélicien pour s’adapter tantôt à la cité cosmopolite du Dieu hellénique, tantôt à la cité médiévale du Dieu arabe, ou juif, ou chrétien — capacité liée à cette dualité d’inspirations maîtresses, par quoi s’expliquaient, à nos yeux, l’incertitude et l’ambiguïté de ses formules fondamentales.

Durant la période qui a suivi l’élaboration thomiste, la société du moyen âge se décompose, du moins dans le monde occidental. En même temps la structure de l’édifice scolastique se dissout, victime de cette logique formelle dont elle s’était réclamée témérairement et qui, armée d’une irrésistible rigueur, dénonce la « pétition de principe » incluse dans les prénotions de l’être ou du bien universel. Mais il n’apparaît pas qu’avant le début du xviie siècle l’affaiblissement constant, la stérilité manifeste, de la tradition péripatéticienne aient eu pour conséquence un essor de la pensée spéculative, qui la rende indépendante de toute tradition. Le choix des autorités s’est fait plus libre, et plus varié ; le respect de l’autorité se maintient à peu près intact. La Renaissance, à cet égard, continue le moyen âge. Ou peut-être, pour parler avec exactitude, il conviendrait de dire que déjà le développement de la pensée péripatéticienne était une première Renaissance, due à l’enseignement des écoles arabes, comme la tradition conservée par les érudits de Byzance fut à l’origine d’une seconde Renaissance, où réapparut le crédit de Platon, de Démocrite, d’Aristote lui-même, arraché à sa gangue scolastique par une confrontation directe avec les textes grecs.