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CHAPITRE XVIII


L’ARTIFICIALISME THOMISTE


81. Corrélativement au naturalisme et à l’immanence de la physique stoïcienne, nous devons indiquer, afin de faire voir de quelle extension et de quelle plasticité le dynamisme aristotélicien était susceptible, l’interprétation artificialiste et transcendante, professée dans les écoles philosophiques du moyen âge. Le moyen le plus convenable pour y parvenir rapidement, c’est de citer les passages de la Somme théologique où se trouve condensée la doctrine des quatre causes. Nous nous dispenserons donc de marquer les intermédiaires, sans la connaissance desquels, pourtant, le caractère de la Somme risquerait d’être méconnu ou travesti. Il suffira de rappeler à quelle conclusion était conduit l’homme qui, procédant avec les doubles ressources du savant et de l’érudit, ayant suivi dans la continuité de son enchaînement la pensée cosmologique entre Aristote et le moyen âge, était enfin capable d’envisager le thomisme sous le jour de l’histoire véritable. « La vaste composition élaborée par Thomas d’Aquin se montre donc à nous comme une marqueterie où se juxtaposent, nettement reconnaissables et distinctes les unes des autres, une multitude de pièces empruntées à toutes les philosophies du Paganisme hellénique, du Christianisme patristique, de l’Islamisme et du Judaïsme[1]. »

Or, du point de vue où nous sommes placés, le fait même que le thomisme (dont on a tant parlé, dont on parle encore, comme d’une source) soit en réalité un confluent, souligne l’autorité du témoin appelé à nous indiquer ce que devint le système aristotélicien de la causalité lorsqu’on lui appliqua :

« … Un manteau, de façon
Barbare, raide et lourd
… »

La terminologie est celle même d’Aristote. Il y a quatre genres de causes. La première est la matière, qui n’est pas principe d’action, mais qui se comporte comme un sujet rela-

  1. Duhem, Le système du monde, t. V, 1917, p. 569.