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une logique précise et brutale. Matière et cause étant également des corps, l’action de la cause implique la négation de l’impénétrabilité des corps. Le corps, c’est simplement ce qui est étendu suivant les trois dimensions[1]. Généralisant la théorie aristotélicienne de la mixtion, les Stoïciens n’hésitent pas à proclamer que tous les corps sont capables de se recevoir les uns et les autres, et de se mélanger à l’infini[2]. Paradoxe théorique qui est immédiatement dissipé par la représentation concrète que les Stoïciens se font du corps causal : c’est le feu d’Héraclite, c’est le fluide subtil d’Anaxagore. En dépit de leur terminologie matérialiste (peut-être en raison de cette terminologie), les Stoïciens ont, en somme, édifié le système du spiritualisme vulgaire, dont l’esquisse avait été dessinée par les théologiens antésocratiques ; système destiné à se perpétuer dans toutes les écoles qui, réfractaires à l’enseignement d’un Platon ou d’un Descartes, ont été hors d’état de subordonner à l’idée proprement intellectuelle l’image du dynamisme psychique[3]. Cette représentation de l’esprit comme force étendue a du moins l’avantage de supprimer les embarras qui pourraient naître d’une réflexion critique. Les Stoïciens ne rencontrent aucune difficulté pour conférer au feu les fonctions de l’âme[4].

À la nature ainsi conçue, ils peuvent attribuer un développement régulier et ordonné, par quoi se manifeste l’inhérence des raisons germinatives[5].

La notion stoïcienne de la nature s’applique d’abord à l’individu. L’individu est à lui-même sa propre cause : (texte grec illisible) ποι ῦν, toute influence du dehors qui intervient et s’exerce sur lui n’est que cause adjuvante : συνεγὸν ὰίτιον. Mais cette relation entre la cause essentielle qui est la nature de l’individu et les causes adjuvantes qui lui sont extérieures, laisserait subsister un certain dualisme si le système des individus ne composait à son tour un nouvel individu : la nature totale conçue par les Stoïciens sur le modèle de la nature proprement indi-

  1. Arius Didymus, epist. phys., fr. 19, Diels, (A, II, 123, n° 357).
  2. τὰς ποιότητας ϰαι τὰς οὺσίας δι' δ'λου ϰεράννυσθαι ἐνομὶζεν. Formule de Zénon, apud Galien, Comment. in Hippocr. de Humoribus, I, (A, t. I, 1905, n° 92, p. 26).
  3. Cf. Émile Bréhier, la Théorie des incorporels dans l’Ancien Stoïcisme, 1907, p. 6.
  4. Zénon, d’après Stobée, I, 25, 3 (A. I. 34, n° 120) : δύο γὰρ γένη πυρος τὸ μὲν ἂτεχνονϰαι μεταϐάλλον εὶς έαυτὸ τὴν τροφήν τὸ δὲ τεχνιϰὸν αὒξητιϰὸν τε ϰαι τηοητιϰόν οίον έν τοῖς φυτοῖς ἔστι ϰαι ζώις ὃ δἐ φύσις ἔστι ϰαι χυϰή.
  5. Diog. Laërt, VII, 148, (A. II, 328 n° 1132} : ἒστι δὲ φύσις ἕξις ἐξ αὑτῆς κινουμένη κατὰ σπερματικοὺς λόγους ἀποτελοῦσά τε καὶ συνέχουσα τὰ ἐξ αὑτῆς ἐν ὡρισμένοις χρόνοις.