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CHAPITRE XV


PHYSIQUE ET THÉOLOGIE


72. — L’étude de la physique proprement dite doit être abordée, chez Aristote, à la lumière de l’esthétique et de la biologie. Le système des quatre causes s’est constitué par la considération de changements tels que la génération, la croissance, l’altération. Aristote s’en sert ensuite pour la théorie du mouvement local qui, suivant lui, est le meilleur des changements[1], transférant ainsi sur un terrain nouveau les cadres d’explication, ou tout au moins de classification, que lui a suggérés la double intuition de l’art et de la nature.

L’opposition des contraires est à la base de cette théorie. Le mouvement local se présente, en effet, comme réductible à deux formes élémentaires : mouvement circulaire ou mouvement rectiligne[2]. Sur la terre, nous sommes témoins dumouvement rectiligne. Nous voyons des corps tomber comme les pierres, ou s’élever comme la fumée : de là une nouvelle opposition, celle du mouvement vers le haut et du mouvementvers le bas. Les corps qui se meuvent vers le bas sont appelés graves ; les corps qui se meuvent vers le haut sont appelés légers. Les éléments s’ordonnent selon cet antagonisme fondamental : le grave est d’une façon absolue la terre, d’une façon relative l’eau ; le léger, c’est le feu d’une façon absolue, et l’air d’une façon relative[3]. Sans doute il arrive que des graves soient projetés en haut. Mais dans ce cas le mouvement est imprimé du dehors au corps solide ; la cause du mouvement est une impulsion sensible et visible, une énergie en acte. Il n’y a donc d’autre difficulté que d’expliquer comment le mouvement peut se prolonger au delà du temps où s’exerce l’acte de la cause efficiente. Aristote, à l’exemple de Platon, interpose, entre le moment où est déclenché le mouvement et le moment qui marque la fin de

  1. Phys., VIII7, 260 b 8.
  2. Phys., VIII, 9, 265 a 13 : πᾰσα γὰρ φορά… ἣ ὲπ’ εὺθειας ἣ μιϰτή
  3. Voir Rivaud, op. cit., p. 439-440.