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manque les caractères qui constituent et définissent l’homme. Ce qui donne à l’enfant sa véritable nature, c’est ce fait qu’il est en voie d’acquérir la nature propre de l’homme, c’est qu’il est orienté vers cette forme de l’homme[1], laquelle se dégage pour le regard en dernier lieu, mais qui, dès la naissance, décide et entraîne le développement de la vie[2]. Un tel développement ne s’explique donc intégralement que par son point d’arrivée, c’est-à-dire par la cause finale. L’homme est la cause finale de l’enfant. Or, à cette cause finale correspond une cause motrice qui lui est adéquate. C’est le père, c’est l’homme, qui a engendré l’enfant, ou, plus exactement, qui a communiqué à l’enfant la capacité de finalité, dont on peut dire qu’elle constitue sa nature d’homme ; d’où cette formule : l’homme engendre l’homme.

71. — Le même système de causes, qui s’offre à l’expérience commune pour rendre compte d’une œuvre d’art, interviendra donc pour faire comprendre la génération et la croissance de l’être vivant. Seulement ce qui caractérise le domaine biologique, c’est que la cause motrice et la cause finale sont tout à la fois numériquement distinctes et spécifiquement identiques[3]. L’être en puissance n’est que l’intermédiaire à travers lequel l’être en acte, qui est l’énergie efficiente du père, conduit à l’être en acte qui est le terme final, à l’accomplissement du fils[4].

Le générateur sculpte une statue à sa propre ressemblance, ou plus exactement il doue l’enfant du pouvoir de se sculpter lui-même, de réaliser à son tour et à son heure, en acte et en énergie, ce que ce père lui-même est en acte et en énergie.

Aristote passe ainsi de l’art à la nature, comme il en fait lui-même la remarque, dans un passage important de la Physique : « Si donc les choses artificielles (sont produites) en vue de quelque chose, il est évident que les choses de la nature le sont aussi ; car, dans les choses artificielles et dans les choses de la nature, les conséquents et les antécédents

  1. Met., Θ, 8, 1050 a 9 : τέλος ή δ’ἐνεγεια, και τούτου χάριν ή δύναμις λαμβάνεται.
  2. De Part. animal, I, 646 a 25 : τἁ στερατῆ τῇ γενέσει πρότερα τἡ φύσιν έστι, και πρῶτον τὁ τῇ γενέσει τελευταἳον… τῷ μἑν σῧν χρόνῶ προτέρα τἡν ὔλην άναγκαἲον εἶναι και τἡν γένεσιν, τῷ λόγῳ δἑ τἡν ούσιαν και έκάστου μορφήν. Cf. — Met. Θ 8, 1015 b 20, et le Commentaire de Rodier, au de Anim, t. II, 1900, p. 225.
  3. Met., 8, 1033 b 30 : φανερὸν ὅτι τὸ γεννῶν τοιοῦτον μέν οἷον τὸ γεννώμενον, ού μέντοι τὸ αὐτό γε, οὐδ ’ἐν τῶ ριθμ ἀλλὰ τῶ εἴδει, οἷον ἐν τοῖς φυσκοῖς ἄνθρωπος γὰρ ᾄνθρπ γεννᾶ.
  4. Phys. III, 2, 202 a 11 : ό ἐντελεχεία ἄνθρωπος ποιεῖ ἐκ τοῦ δυνάμει ὄντος ἁνθρώπου ἄνθρωπον.