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est mise en évidence la cause immédiate du changement : cause motrice, ou cause efficiente, ou cause poétique[1].

Cette cause est pour les yeux la cause par excellence. Mais elle ne saurait suffire pour l’esprit ; car elle est hors d’état d’expliquer ce qui est l’essentiel du problème : comment ces coups de ciseau se sont trouvés conduire à une forme définie, celle de l’Eros ou de l’Hermès. La forme qui apparaît à l’achèvement de l’œuvre a dû être conçue avant la série d’efforts qui lui doivent leur succession et leur signification[2]. Ce qui est la fin du processus, en dépit, ou plutôt en raison, de ce qu’elle en est la fin, devra être considéré comme en étant aussi la cause. Et par là le système des causes requiert pour s’achever la cause finale, qui est à la fois terme et principe. Elle est le terme aux yeux du spectateur qui doit attendre le dernier coup de ciseau avant d’apercevoir complètement réalisée l’idée de l’artiste ; elle est le principe dans l’esprit de l’artiste lui-même chez qui la conception de l’ensemble, l’anticipation de la forme, a déterminé la suite des mouvements à exécuter sur la matière.

Cette distinction entre les deux ordres inverses, ordre extérieur de la connaissance et ordre intime de la production réelle[3], qui se présente si aisément à la pensée dans le domaine de l’art, Aristote s’en autorise pour étendre au domaine de la nature vivante la même interprétation rationnelle de l’expérience. Ici, sans doute, les causes qui rendent compte du changement se dérobent à l’observation immédiate. L’enfant devient homme par un processus de maturation qui ne manifeste aucune intervention extérieure, qui apparaît comme purement spontané : ἡ μἑν οὖν τέχνη άρχἡ ἑν ἂλλῳ, ή δἑ φύσις άρχή ἑν αὑτῷ[4]. Mais le matérialisme, suivant lequel la puissance serait d’elle-même, et en tant que puissance, capable de passer à l’acte, contredit aux conditions de toute explication rationnelle, puisqu’il prétend rendre compte de ce qui est déterminé, en s’appuyant sur le seul indéterminé. La croissance de l’enfant vers l’humanité n’est pas intelligible par son point de départ apparent ; car à l’enfant, pris en soi, il

  1. Met., Z, 6, 1045 b 21 : αἴτιον οὐθὲν ἄλλο πλὴν εἴ τι ὡς κινῆσαν ἐκ δυνάμεως εἰς ἐνέργειαν.
  2. Met., Z, 7, 1032 b 15 : Τῶν δἑ γενέσεων καὶ κινήσεων ἡ μὲν νόησις καλεῖται ἡ δὲ ποίησις, ἡ μὲν ἀπὸ τῆς ἀρχῆς καὶ τοῦ εἴδους νόησις ἡ δ' ἀπὸ τοῦ τελευταίου τῆς νοήσεως ποίησις.
  3. Phys., VIII, 7, 261 a 13 : φαίνεται τὁ γινόμενον ἁτελἑς καἱ ἑπ’ ἀρχἡν ἱὀν ὢστε τὁ τῆ γενέσει ὔστερον τῆ φύσει πρότερον εἶναι. — De Part. anim., I, 1, 646 a 35 : τῷ μἑν οὖν χρόνω πρτέραν τἡν ὓλην άναγκαῖον εἶναι καἱ τἡν γένεσιν, τῷ λόγω δἑ τἡν οὑσιαν καἱ τἡν ἑκάστου μορφήν. Cf. Phys., I, 1, 184 a 16 ; et Met., Λ, 3, 1077 a 26.
  4. Met., Λ, 2, 1070 a 27.