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scientifique[1], il est conclu du genre à l’individu par l’intermédiaire de l’essence spécifique[2] :

Sans fiel est tout homme,
Homme est Callias ;
Sans fiel est Callias.

Ce qui est la cause est aussi le moyen : τὸ μὲν γὰρ αἲτιον τὸ μἐσον[3]. Dans l’histoire de la pensée humaine, l’apparition du syllogisme, qui est pour la relation de la matière et de la forme un instrument adéquat d’analyse et de raisonnement, marque un moment décisif. La dialectique platonicienne prétendait aller au delà de l’οὺσία (qui est substantif de l’être, à la fois essence et existence), parce qu’elle voulait atteindre l’unité pure de l’intelligible. La spéculation aristotélicienne se fonde tout entière, au contraire, sur cette notion d’οὺσία, qui est le pivot de la logique formelle, et qui comprend l’être sous son triple aspect : forme, matière, composé qui est l’individu[4]. En faisant jouer cette triple signification qu’il confère à l’οὺσία[5], Aristote prétend résoudre la crise qu’avait ouverte dans la philosophie hellénique l’apparition du devenir et de l’être, et qui avait conduit Platon, dans le Timée, à déprécier la valeur de sa propre physique. Pour Aristote, le composé de matière et de forme, c’est ce qui correspond au devenir. Ce qui est en attente du changement, ce qui va devenir telle ou telle chose, c’est la matière. Ce qui est devenu telle ou telle chose, qui est déterminé, c’est ce qui a reçu la forme[6].

68. — La terminologie métaphysique reflète d’une façon frappante les intuitions maîtresses d’où procède la pensée aristotélicienne. N’est-ce pas dans la production d’une œuvre d’art, d’une statue, par exemple, que les expressions de matière et de forme ont toute leur valeur littérale et tech-

  1. ὲπιστημονιϰός, II Analyt., I, 2, 71 b 18 et I, 24, 85 b 23.
  2. Met., Γ, 5, 1010 a 25 : ϰατὰ τὸ εἷδος ἂπαντα γιγνώσϰμεν. Cf. l’Index de Bonitz au mot εἷδος, 219 a 33.
  3. II Analyt., II, 2, 90 a 6.
  4. Οὐσία ἥ τε ὕλη καὶ τὸ εἶδος καὶ τὸ ἐκ τούτων. Met., Z, 10, 3, 1035 a 2. Cf. Met., 2, 1028 b 36 : τὸ ὑποκείμενόν ἐστι καθ' οὗ τὰ ἄλλα λέγεται, ἐκεῖνο δὲ αὐτὸ μηκέτι κατ' ἄλλου… μάλιστα γὰρ δοκεῖ εἶναι οὐσία τὸ ὑποκείμενον πρῶτον, τοιοῦτον δὲ τρόπον μέν τινα ἡ ὕλη λέγεται, ἄλλον δὲ τρόπον ἡ μορφή, τρίτον δὲ τὸ ἐκ τούτων.
  5. Voir Robin, la Théorie platonicienne des idées et des nombres d’après Aristote, 1908, § 50, p. 102.
  6. Phys., I, 7, 190 b 11, τὸ γιγνόμενον ἅπαν ἀεὶ συνθετόν ἐστι, καὶ ἔστι μέν τι γιγνόμενον, ἔστι δέ τι ὃ τοῦτο γίγνεται, [καὶ τοῦτο διττόν· ἢ γὰρ τὸ ὑποκείμενον ἢ τὸ ἀντικείμενον].