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ou quantitative[1]. Par là, nous serons conduits à la matière : la matière, ce sera le terme ultime, définitivement réfractaire à la détermination prédicative, ou (si l’on passe par-dessus la contradiction apparente des expressions) déterminée comme indéterminée, comme inconnaissable[2]. Cette conception, inspirée du Timée, implique immédiatement un complément indispensable : le recours à la forme. La forme, c’est ce qui s’ajoute à la matière pour la déterminer, ce qui en fait ceci ou cela, ce par quoi Bucéphale est cheval et non bœuf[3]. Donc, les objets qui sont donnés dans l’expérience humaine sont constitués par une matière, sans laquelle on ne saurait poser de réalité substantielle, une forme sans laquelle on ne saurait concevoir d’unité intelligible.

De là deux conséquences : il n’y a pas à établir l’existence d’une matière, qui serait séparée de la forme[4] ; il n’y a pas à démontrer l’unité que la forme imprime à la matière. La définition, qui, tant qu’elle exprime la forme, est le fondement de la logique aristotélicienne[5], ne tombe pas sous la juridiction de cette logique. De l’essence, οὐσία τί ἐστι, il n’y a pas de démonstration[6]. Cela ne saurait empêcher sans doute que la forme se prête à un travail de décomposition ; la forme est l’unité spécifique d’éléments qui, pris en eux-mêmes, sont des genres[7]. Mais ce qui est reconnu impossible, c’est d’atteindre l’espèce en partant du genre, ainsi que l’avait tenté vainement le procédé platonicien de la division. Le genre est, par rapport à l’espèce, comme une matière logique, ὕλη νοητη[8]. À la matière logique comme à la matière sensible, dont elle est en quelque sorte le symétrique, la forme apporte l’unité, et en cela elle est indivisible[9].

La fonction médiatrice de la forme explique le rôle du moyen terme grâce auquel, dans le syllogisme parfait[10] et

  1. Met., Z, 10, 1036 a 8 : ἡ δ' ὕλη ἄγνωστος καθ' αὑτήν.
  2. Met., Z, 7, 1032 b 14. λέγω δ' οὐσίαν ἄνευ ὕλης τὸ τί ἦν εἶναι.
  3. Met., Z, 3. 1029 a 16 : άλλὰ μὴν ἀφαιρουμένου μήκους καὶ πλάτους καὶ βάθους οὐδὲν ὁρῶμεν ὑπολειπόμενον, πλὴν εἴ τί ἐστι τὸ ὁριζόμενον ὑπὸ τούτων, ὥστε τὴν ὕλην ἀνάγκη φαίνεσθαι μόνην οὐσίαν οὕτω σκοπουμένοις, λέγω δ' ὕλην ἣ καθ' αὑτὴν μήτε τὶ μήτε ποσὸν μήτε ἄλλο μηδὲν λέγεται οἷς ὥρισται τὸ ὄν. Cf. Hamelin, Le système d’Aristote, publié par L. Robin, 1920, p. 263.
  4. Phys., IV, 2, 209 b 23 : ἡ ὕλη οὐ χωρίζεται τοῦ πράγματος.
  5. Met., M, 4, 1078 b 26 : ἀρχὴ δὲ τῶν συλλογισμῶν τὸ τί ἐστιν·
  6. Met., K, 7, 1064 a 9 : τῆς οὐσίας καὶ τοῦ τί ἐστιν οὐκ ἔστιν ἀπόδειξις.
  7. Met., Δ. 25, 1023 b 24 : τὸ γένος τοῦ εἴδους καὶ μέρος λέγεται.
  8. Met., H. 6, 1045 a 34. Cf. Met, I, 8, 1058 a 23 : τὸ δὲ γένος ὕλη οὗ λέγεται γένος
  9. Met., Z, 12, 1037 a 29 : Ή οὐσία γὰρ ἐστὶ τὸ εἶδος τὸ ἐνόν. Cf. Z, 8, 1034 a 8 : ἄτομον γὰρ τὸ εἶδος.
  10. τέλειος, I Analyt., I, 1, 24 b 22.