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ton dans le cours du dialogue[1]. Le premier point de vue concerne et définit l’état des corps antérieurement à l’organisation d’où est né le ϰόσμς (πρὶν ϰαὶ τὸ πᾶν ἐξ αὺτῶν διοϰοσμηθὲν γενέσθαι) ; comme il est vraisemblable en l’absence de la divinité (ὂταν άπῆ τινὸς θεός), cet état était dénué de raison et de mesure (ὰλόγως ϰαὶ ὰμέτρως). Ce point de vue est le point de vue du mécanisme pur : la discrimination des éléments se fait en vertu d’une agitation élémentaire, sous l’action de forces qui ne sont ni égales ni équilibrées ; elle est semblable à la séparation des parties dans le blé que l’on secoue et que l’on vanne. (52 D.) Selon le second point de vue (qui correspond exactement au récit de Socrate dans le Phédon) la nécessité mécanique est reléguée au rang de cause adjuvante : « Celui qui est vraiment épris de l’intelligence et de la science doit rechercher comme causes premières celles qui tiennent de la nature pensante, et comme causes secondes, celles qui tiennent aux objets mus par d’autres ou en mouvant d’autres par nécessité. » (46 D E.) De ce point de vue la doctrine des quatre éléments se justifie parce qu’elle présente une proportion géométrique, qui est le plus beau des liens, le plus capable de constituer une unité avec lui-même et les choses liées (31 C). De ce point de vue encore s’éclaire la constitution singulière de l’âme du monde, dont la composition est réglée de manière à rejoindre à la fois la théorie arithmétique des sons, appuyée sur l’échelle du genre diatonique tel qu’il était en usage du temps de Platon, et le système astronomique que Platon avait adopté[2].

64. — Par là, et du moins aux yeux de Platon, le problème de la physique mathématique pourrait paraître résolu. Or, il n’en est rien : depuis le début jusqu’à la conclusion du Timée[3], Platon ne cesse de dénier à son œuvre propre toute valeur strictement scientifique. La physique platonicienne n’est pas chose de vérité ; c’est une histoire, qui ne prétend qu’à la vraisemblance du mythe. On ne saurait comprendre ce spectacle étrange d’une pensée qui se frappe elle-même de suspicion et de discrédit, si l’on ne se référait à la conception que Platon se fait de la mathématique. Les combi-

  1. Robin, Étude sur la signification et la place de la physique dans la Philosophie de Platon, 1919, particulièrement p. 17. Nous suivrons de près cette étude dans l’analyse de la causalité platonicienne.
  2. Cf. Th. Henri Martin, Op. cit., p. 29 et 30, avec renvoi aux Notes.
  3. Voir les textes rassemblés par Couturat, dans sa thèse latine : De platonicis mythis, 1896, particulièrement au chapitre v : Mundi fabrica mythica est.