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le fondateur du Lycée. Le problème, pour nous, sera moins de déterminer une opposition entre platonisme et aristotélisme que de comprendre comment les parties les plus fécondes de la philosophie platonicienne, celles qui portaient en elle toute la richesse de l’avenir, se sont trouvées pour des siècles sacrifiées à celles qui, le plus manifestement, s’inspiraient de l’imagination mythique.

63. — Le type d’intelligibilité, suivant Platon comme suivant Democrite, c’est l’analyse. Mais, suivant l’heureuse terminologie de Leibniz, l’analyse démocritéenne est la division en parties ; l’analyse platonicienne est la résolution en notions. La première laisse échapper le tout en tant que tout pour ne retenir que les éléments constitutifs ; la seconde, au contraire, s’attache au tout lui-même afin de comprendre ce qui le détermine dans sa totalité. Tandis que Démocrite n’emprunte guère à la géométrie que l’image encore externe de la juxtaposition, Platon vise à l’intelligence des relations internes. Dès lors, ce qui va devenir l’objet principal du mathématisme platonicien, c’est ce que l’atomisme laissait inexpliqué : l’ordre, la proportion, auxquels l’objet est redevable de sa forme esthétique, de son harmonie.

La conception de la mathématique, comme discipline, si l’on peut dire, ultra-quantitative, par laquelle beauté et bien apparaissent inséparables de la vérité, était l’œuvre du pythagorisme qui avait réussi à en apporter la preuve positive dans le double domaine de l’astronomie et de l’acoustique. Platon recueille l’héritage du pythagorisme ; il en exprime le principe dans le passage du Politique (284 D)[1] d’une importance décisive, qui est consacré à la distinction entre les deux sortes de métrétique : l’une qui se maintient dans le domaine de la quantité pure, où les nombres, où les intervalles de l’espace sont comparés les uns aux autres, et mesurés par rapport à ce qui leur est opposé (c’est-à-dire le grand par rapport au petit, le double par rapport au simple) ; une autre où le principe de la mesure c’est le milieu distant des extrêmes, qui sera caractérisé par des qualités telles que modération, convenance, opportunité, « comme il faut ».

Cette distinction trouve son application concrète dans la physique du Timée. L’univers y est considéré tour à tour suivant deux points de vue séparés matériellement par Pla-

  1. Voir en particulier Milhaud, les Philosophes géomètres de la Grèce, Platon et ses prédécesseurs, Paris, 1900, p. 318 et suiv. ; et Rodier, les Mathématiques et la dialectique dans le système de Platon, Archiv für Geschichte der Philosophie, année 1902, t. XV, p. 485.