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CHAPITRE XIII


L’ÉCHEC DU MATHÉMATISME PLATONICIEN


62. Nous avons cherché à expliquer comment le progrès de pensée, dont aujourd’hui nous démêlons nettement que l’antiquité grecque était redevable à Démocrite, n’a point servi à orienter l’investigation de la causalité dans une direction véritablement scientifique. L’atomisme de Démocrite ne s’est maintenu que dans des écoles comme l’école épicurienne, où l’on se contentait d’une physique presque systématiquement superficielle, où même, dans une certaine mesure, on affectait de se désintéresser de la vérité qui n’était que spéculative.

Voici maintenant un fait du même ordre, non moins paradoxal et non moins considérable : l’autorité de Pythagore et de Platon, dont l’enseignement tendait d’une façon si manifeste à interpréter l’univers physique à la lumière des mathématiques, n’a pas suffi non plus à déterminer une théorie scientifique de la causalité. C’est contre Platon, c’est contre les pythagorisants de l’école platonicienne, qu’Aristote a constitué la doctrine des quatre causes. Le fait est d’autant plus curieux que les éléments de cette doctrine qu’Aristote prétend opposer au platonisme se retrouvent dans les Dialogues de Platon, qu’en particulier, à suivre le développement du mythe de la création dans le Timée, on assiste à l’intervention successive des causes aristotéliciennes : matière et forme, motricité et finalité[1]. Tout se passe, pourrait-on dire, comme si le platonisme s’était brisé en deux systèmes indépendants l’un de l’autre : le système proprement mathématique, développé par les scholarques de l’Académie ; le système conceptuel, d’ordre qualitatif et de tendance finaliste, recueilli par

  1. Cf. Th. Henri Martin, Études sur le Timée de Platon, t. I, Paris, 1851, p. 19-20 : « Qu’on ouvre le Timée : on y verra, presque dès le commencement du discours de Timée, que rien ne peut se produire sans cause ; on y verra que Dieu, la cause suprême, τὸ αἲτιον, comme l’appelait le pythagoricien Philolaüs, l’auteur et le père de l’univers comme l’appelle Platon, a fait le monde dans la matière, à l’image des idées et en vue du bien : certes, voilà les quatre principes. »