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configuration actuelle de la terre si l’on négligeait la succession des événements géologiques, de même on n’expliquerait pas l’idée de la causalité qui nous est imposée par les progrès de la physique si l’on n’en déterminait le caractère original à l’aide des conceptions qui l’ont précédée et qu’elle implique encore, pourrait-on dire, dans sa compréhension, tant par ce qu’elle en a éliminé que par ce qu’elle en a conservé. La lenteur et la sinuosité de la recherche sont ici le prix auquel il faut, semble-t-il, payer la précision et la certitude du résultat. Et en cela nous ne croyons pas qu’il y ait opposition entre le rythme de la vérité scientifique et le rythme de la vérité philosophique. En fait, ce qu’il y a de déconcertant pour le profane dans la physique du xxe siècle, et de réellement merveilleux, c’est qu’elle ne se développe nullement par les conséquences en quelque sorte automatiques de principes fixés d’une façon définitive, comme s’ils étaient inscrits dans les articles d’un traité perpétuel entre l’esprit de l’homme et la nature des choses. Pour serrer de plus près les phénomènes, à l’échelle où permettent maintenant d’atteindre les perfectionnements de la technique expérimentale, il a fallu (le mot n’est pas trop fort quand il s’agit des théories de la relativité) découvrir des manières inédites de mettre le monde en équations ; et cela impliquait la revision de tout ce qui avait jusque-là servi de point de départ à l’effort de la physique mathématique, l’invention de nouveaux procédés de mesure, de nouvelles formes de coordination mathématique, de nouveaux modes d’explication causale. Comment l’intelligence de semblables nouveautés serait-elle possible sans référence à la tradition classique ?

Au xviie siècle déjà, les auteurs de la Logique de Port-Royal faisaient remarquer qu’en adoptant pour l’exposition de leur science une méthode tout entière déductive et synthétique, les géomètres anciens paraissaient « avoir plus de soin de la certitude que de l’évidence, et de convaincre l’es-