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CHAPITRE XII


L’ÉCHEC DE L’ATOMISME DÉMOCRITÉEN


59. — La discussion préalable à laquelle nous venons de procéder permet sans doute de présumer que, même après le Phédon et le Timée, la philosophie d’Aristote garde son originalité. Contre Platon, contre les platoniciens, dont la tendance a été de subordonner de plus en plus les considérations finalistes et qualitatives aux spéculations purement mathématiques, elle a défendu le primat de la finalité ; elle a fait reposer sur cette base tout le système de la causalité. En revanche, il demeure douteux que le système de la causalité chez Aristote se soit historiquement constitué par voie de simple addition (à la manière leibnizienne, serait-on tenté de dire) sans avoir d’obstacle à renverser, de négation à combattre. En face du finalisme d’Aristote, et antérieurement à lui, se dressaient deux philosophies de la nature, dont les principes portent dans le temps bien au delà du finalisme lui-même et préludent à ce qui est pour nous l’esprit scientifique : le matérialisme, qui a pris une forme nettement arrêtée dans l’atomisme de Démocrite, et, d’autre part, le mathématisme, qui était enseigné dans les écoles pythagoriciennes et platoniciennes[1].

Jusqu’à quel point, avec Démocrite et avec Platon, atomisme et mathématisme avaient-ils pris conscience de leurs principes propres ? À quelles difficultés, insurmontables pour l’antiquité, devaient-ils se heurter dans l’application de ces principes aux problèmes de la physique ? Et comment la doctrine aristotélicienne des causes s’est-elle trouvée en état de les supplanter l’un et l’autre ? Voilà les questions qui se posent à nous, et qui nous aideront à comprendre l’exacte signification historique de l’aristotélisme, comme l’exact rapport de la philosophie grecque avec la science moderne.

  1. Afin de simplifier l’exposé, nous laissons de côté le rôle joué par Leucippe d’une part et par le pythagorisme d’autre part, dont la discussion, d’ailleurs très difficile dans l’état de notre documentation, nous paraît pour notre objet d’importance secondaire.