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causes finales et le maigre parti qui en est tiré pour le détail de l’explication physique[1]. Or, par cette page du Phédon, il est établi que, dans la génération qui précédait Aristote, deux conceptions ont été complètement définies de la façon la plus explicite et en antithèse l’une de l’autre : la première va de la nature à l’homme ; elle cherche la cause d’un événement dans les conditions matérielles qui le rendent nécessaire, c’est le mécanisme ; la seconde va de l’homme à la nature, elle fait de la capacité de choisir et de réaliser le meilleur, le critère de la causalité véritable, c’est le finalisme.

58. — Le mécanisme a pris sa forme la plus solide avec Démocrite dont Aristote n’hésitait pas à reconnaître le mérite scientifique[2]. Quant au finalisme, devons-nous l’attribuer à Socrate lui-même ? Rien ne nous autorise à conclure de l’interlocuteur des dialogues platoniciens au personnage historique. Aristote affirme que Socrate s’est détourné systématiquement de toute investigation physique afin de maintenir sa réflexion dans le cercle des affaires humaines. Et Xénophon lui-même, tout porté qu’il est à infléchir l’enseignement de Socrate dans le sens de la théologie traditionnelle, confirme le témoignage d’Aristote[3]. Sans entrer dans les controverses d’érudition que la pauvreté et la diversité des sources permettent de prolonger et de renouveler à l’infini, nous ne croyons pas téméraire de continuer à croire que Socrate a enseigné, pour son propre compte, un humanisme d’ordre pratique, qui avait pour conséquence d’exclure l’anthropomorphisme, entendant par là l’extension du point de vue humain hors de la sphère des choses humaines. Mais, d’autre part, la fécondité de la parole socratique s’est manifestée de telle manière qu’elle devait inciter les esprits des disciples à développer, dans les directions les plus diverses, l’enseignement du maître. Rien ne serait alors plus simple à concevoir que le mouvement de pensée décrit par le Phédon : l’explication par la cause finale étant la seule qui rende véritablement compte de la conduite humaine, on en conclut qu’elle est la seule qui satisfasse complètement la raison, qu’elle doit donc s’appliquer aux problèmes de physique comme aux questions proprement morales. Non seulement il est certain que la doctrine du finalisme universel était conçue

  1. A 3, 984 b 15 et 18 Cf., Zeller, Philosophie des Grecs, trad. É. Boutroux, t. ii, 1882, 408 n. 1.
  2. De Gen. et Corr., I, 2, 315 a 34 et I, 7, 323 b 10.
  3. Σωϰράτους δὲ περι μὲν τὰ ἠθιϰὰ πραγματευομένου, περὶ δὲ τῆς ὁλησ ϕύσεως οὺθέν.. Met., A, 6, 987 b 1. Cf. Mémorables, I, 1, 16.