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est simple et banale : « Pourquoi l’homme grandit-il ? Je pensais qu’il était flair d’abord pour tout le monde que c’est parce qu’il mange et boit ; de ce qu’il mange, la chair s’ajoute à la chair, les os aux os, et ainsi pour le reste suivant l’appropriation, de telle sorte que la masse faible finit par être considérable, et que l’homme de petit devient grand. » (96 C D.) L’autre voie est celle qu’a ouverte Anaxagore : « Comme j’avais entendu un jour quelqu’un lire dans un livre qui était, disait-il, d’Anaxagore, et dire que l’esprit était l’ordonnateur et la cause de toutes choses, je fus ravi de cette causalité ; je jugeai que, s’il en était ainsi, l’esprit ordonnateur avait tout ordonné et disposé de chaque chose de telle façon que ce fût le mieux. » (97 B C.) Mais Anaxagore ne remplit pas le programme que la doctrine du νοῦς semblait avoir tracé : « De ma merveilleuse espérance, dit le Socrate platonicien, je fus bientôt déchu ; en avançant dans la lecture d’Anaxagore, je trouve un homme qui ne fait aucun usage de l’esprit, qui ne fait pas intervenir de causes pour mettre en ordre les choses, mais qui invoque la causalité de l’air, de l’éther, de l’eau, et d’autres choses également absurdes. » (96 B C.) Socrate se prend alors lui-même comme exemple : il est assis dans cette prison d’où il a refusé de s’enfuir. Rend-on véritablement raison de ce fait qu’il est assis, en disant que l’emboîtement des os et la contraction des muscles lui permettent de plier les jambes et de s’asseoir ? ou ne convient-il pas de se référer au jugement du meilleur, suivant lequel, plutôt que de s’évader comme un esclave, il estimait conforme à la justice et à la beauté de se soumettre au châtiment décrété par la cité ? « Si l’on dit que, si je n’avais ni os ni muscles, etc., je ne serais pas en état d’exécuter ce qui me semble bon, l’on dirait la vérité. Mais dire que c’est à cause de ces os et de ces muscles que je fais ce que je fais, et, qu’agissant avec mon esprit, j’obéisse à cela, non au choix du meilleur, ce serait une grande défaillance pour la raison ; car ce serait ne pas être capable de distinguer deux choses : l’une, ce qu’est la cause en réalité, l’autre, ce sans quoi la cause n’exercerait jamais la causalité ; et c’est pourtant cette dernière chose à laquelle la plupart, tâtonnant comme dans les ténèbres, et prenant un mot pour un autre, donnent le nom de causalité. » (99 A B.)

Cette page du Phédon donne le moyen de juger la valeur des critiques dirigées par Aristote contre la théorie platonicienne de la causalité. Manifestement, elle est la source des remarques consignées dans la Métaphysique sur le système d’Anaxagore, sur le contraste entre la valeur du principe des