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des Pythagoriciens[1]. Enfin, la cause finale fut révélée par Anaxagore : « En disant qu’il y a, tout comme chez les animaux, une intelligence dans la nature, intelligence cause de l’univers et de tout son ordre, il apparut comme un homme à jeun par rapport à des devanciers qui parlaient au hasard[2]. »

On comprend donc la remarque d’Aristote : « D’une certaine façon, toutes les causes ont été indiquées auparavant. » À quoi il ajoute immédiatement : « D’une certaine façon elles ne l’ont nullement été[3]. » En un sens, tout est dit ; car il n’y a pas à proposer de cause nouvelle en dehors de celles qui ont été découvertes avant Aristote. Mais, en un autre sens, le problème tout entier reste à résoudre ; car il a manqué aux prédécesseurs d’Aristote d’avoir assigné à chacune de ces causes son rôle véritable, en corrélation avec la fonction que remplit chacune des autres causes. D’une part, Platon ne fait usage que de deux causes, la matière et la forme[4]. Quant à la cause motrice, on ne saurait la trouver dans les idées qui, de l’aveu de leurs partisans, seraient plutôt cause d’immobilité et de repos : ἀϰιησίας αἴτια μᾶλλον ϰαὶ τοῦ ὲν ἠρεμία εὶναί φασιν[5]. D’autre part, Empédocle, Anaxagore, qui ont mis l’accent sur les principes du changement même, — cause motrice chez l’un, cause finale chez l’autre, — n’ont pas l’ « entraînement » suffisant pour manier adroitement leurs propres principes. Il arrive à Empédocle d’intervertir les rôles qu’il avait attribués à l’amitié et à la discorde : dans beaucoup d’endroits, c’est l’amitié qui disjoint, c’est la discorde qui réunit[6]. Quant au νοῦς, Anaxagore ne le fait intervenir dans la génération du ϰόσμος que comme un expédient désespéré, lorsqu’il n’a pas réussi à mettre la main sur une cause agissant par nécessité[7].

En conclusion, Aristote prétend bien appuyer sur l’histoire sa doctrine des quatre causes, car chacune d’elles a déjà été établie par les recherches de ses prédécesseurs ; il revendique cependant le mérite d’une synthèse qui serait originale et qui serait définitive.

  1. Cf. Met., M 8, 1084 b 23 : αἲτιον δέ τῆς σομϐαινοὺσης άμαρτίας δτι ἃμα ἑϰ τῶν μαθημάτων ὲθηρεύον ϰαι ὲϰ τῶν λόγων τῶν ϰαθολου.
  2. Met., A, 3, 984 b 15.
  3. Τρόπν μέν τινα πᾰσαι πότερον εἴρηναι, τόπον δέ τινα οὺδαμῶς. Met. A, 10, 993 a 14. Cf. A, 7, 988 a 22.
  4. Met., A. 6, 988 a 7.
  5. A 7, 988 b 3. Cf. Robin, la Théorie platonicienne des idées et des nombres d’après Aristote, 1908, p. 94.
  6. A 4, 985 a 23.
  7. A 4, 985 a 18.