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CHAPITRE XI


L’INTERPRÉTATION DE L’HISTOIRE
SELON ARISTOTE


56. — À cette doctrine, Aristote attribuait une signification historique, qui serait d’un intérêt capital : la doctrine exprimerait l’apport du génie grec qui a découvert tour à tour, et qui s’est défini à lui-même, chacune des quatre causes.

La cause matérielle aurait été la principale préoccupation des premiers philosophes, qui étaient eux-mêmes successeurs des anciens théologiens[1]. Avec Thalès, Anaximène et Diogène, avec Hippase de Métaponte et Héraclite d’Éphèse, chacun des éléments : eau, air, feu, émerge en quelque sorte à la surface de la philosophie, jusqu’à Empédocle qui les retient tous à la fois, leur ajoute la terre, et fonde pour des siècles la théorie classique des quatre éléments. Avec ce même Empédocle apparaissent des principes ayant une fonction nouvelle : la fonction d’expliquer le changement. Il ne s’agit plus seulement, comme chez les physiologues antérieurs, de découvrir ce qui subsistait de permanent et d’immuable sous les transformations apparentes ; il s’agit de rendre compte de ces transformations elles-mêmes, et c’est le rôle qu’Empédocle, se souvenant de l’Ερως des Théogonies, confère à l’amitié, φιλία, et d’autre part, au principe opposé, à la discorde, νεικος[2]. Amitié et discorde sont des causes motrices. L’élaboration de la cause formelle fut l’œuvre de l’école pythagoricienne. L’assimilation des choses aux nombres a ce résultat de faire reposer l’explication causale sur l’essence interne telle qu’elle se manifeste par la définition[3]. La participation platonicienne, avec une distinction plus nette de la matière et de la forme, ne fait que poser le primat de la forme, la forme étant à la fois le concept général, hérité de Socrate, et l’idée mathématique, héritée

  1. Met., A, 3, 983 b 6.
  2. Met., A, 4, 984 b 24 et suiv.
  3. Met., A, 5, 987 a 13.